Le livre de Dave – Will Self

– Bonjour, pour nous changer les idées brunes, nous allons parler aujourd’hui d’un livre pas nouveau, parce que oui, les vieux livres méritent d’être lus, m’enfin il n’est pas si vieux que ça – il n’est pas écrit en latin, un livre qui parle d’un livre, un livre écrit par un auteur anglais – car oui, les anglais écrivent, il s’agit du Livre de Dave ! Qui comme son nom ne l’indique pas, n’a pas été écrit pas Dave. Générique !

Tata taaaaaa
Tata taaaaaa
Toumtoum touuuuuum
Toumtoum touuuuuum
Tibiditi
Tibiditi

– Voilà, cette musique ignoble de Bontempi étant terminée, nous allons pouvoir passer directement au vif du sujet avec l’auteur, voici Will Self !
Le public applaudit, pressé par le chauffeur de salle, qui leur fait des grands signes.
Will Self arrive et s’assoit face à moi.
– Bonjour, Will, Self.
– Hi.
– Alors, Willy, vous ne parlez pas notre langue.
– Nop.
– Bien, ce traducteur automatique prêté par google va nous aider. Placez le derrière l’oreille, voilà, et cette partie la dans la bouche…
– Hummm hummm gneuuuu.
– Vous y êtes allé un peu fort. Attendez, ressortez le, oui, voilà. Vous pouvez parler ?
– Bonjour la France !
– Bien, bien, bien, well, Will, alors ce livre. Attendez, une voix off va nous le résumer !

« Dave Rudman, chauffeur de taxi londonien, passe son temps à fulminer contre les Noirs, les Juifs, les Arabes, les bourgeois ou les touristes. Il déverse son fiel dans des écrits qu’il enterre dans le jardin de son ex-femme, Michelle.
Cinq siècles plus tard, après un terrible déluge, ses élucubrations sont retrouvées. Le « Livre de Dave » devient la référence spirituelle du Nouveau Monde. Dans l’archipel d’Ingleterre, en l’an 500 après Dave, la vie s’organise selon les paroles du prophète. Les hommes et les femmes vivent séparément, et parlent le mokni, argot modelé sur le jargon du chauffeur de taxi.
Cet « Évangile selon Self » est une satire de la vie moderne. Les religions, le capitalisme, l’Histoire, le mariage, rien n’échappe à l’auteur de Mon idée du plaisir. Vrai-faux roman d’anticipation ou d’aventure, Le Livre de Dave est surtout un tour de force littéraire. Will Self invente une langue, un monde, mélange les genres et les influences avec une virtuosité impressionnante. »

– Tout d’abord, êtes-vous d’accord avec ce résumé ?
– Oui, c’est ce que j’ai tenté de faire.
– Faire d’un chanteur un messie, n’est-ce pas un peu fort ?
– Un chanteur ?
– Dave.
– Non c’est pas le chanteur. C’est vraiment un chauffeur de taxi…
– Mouais.
– Si si !
– L’impératrice ?
– O_o
– Oui, elle était faible, poursuivons, faire d’un chauffeur de taxi un messie, c’est pas un peu fort ?
– D’autant qu’il joue pas au foot.
– Pardon ?
– Messie, foot. Ok, ok.
Cette fois, c’est moi qui me smilise : O_o
– J’aurai pu me contenter de « Président de l’Europe », reprend Will. Mais j’ai trouvé ce rôle plus adéquate.
– Nous invitons rarement le écrivains ici, tout d’abord parce qu’ils ont tendance à parler de leur bouquin. Ensuite parce qu’ils le font d’une manière chiante.
– C’est vrai. C’est pour ça que j’ai amené de la beuh.
– Nice ! Bon, pénétrons tout de suite le sujet, comment a-t-on ce genre d’idée ?
– Je les achète.
– Pardon ?
– Un vieux chinois fou en vend plein. C’est dans le quartier nord de Londres. Un endroit bizarre. Mais avec ce chinois.
– Un chinois ?
– Ouep. Avec des yeux tout petits qu’on les dirait fermés, comme ça -_- !
– Okay…
– Je te jure !
– Ouais, ouais, dis-je. Et comme de cette idée fait-on un roman ?
– C’est très facile : j’ai publié une tribune où j’explique que les romans doivent être une distraction culturelle pour les élites.
– C’était pas l’inverse ?
– Tu comprends l’anglais ?
– Non.
– Alors, pourquoi tu la ramènes ? Je sais ce que je dis encore. Donc je disais, un truc comme la musique classique. Donc j’ai pris une liasse de 500 pages vides que j’ai remplies.
– 500 ?
– Plus c’est gros, moins les gens le liront.
– Mais, et Harry Potter ! Et le seigneur des anneaux !
– Oui, il faut un style bien lourd, presque chiant. Là, on atteint l’art !
– L’art est chiant ?
– L’art nécessite un investissement. Un effort. Pour que cet effort soit palpable, il faut un style bien lourd. La noblessisation de l’écriture le nécessite.
– La noblessisation ?
– Le fait que ce ne soit plus que des riches bourgeois éduqués qui lisent. Cette lourdeur impose une deep slow reading, cette deep slow reading sépare le bon grain du livret A. Les pauvres, hyper connectés, hyper derrière leur télés gigantesques, ne pourront bientôt plus lire. Et c’est tant mieux !
– Vous souhaitez que les gens ne lisent plus ?
– Les pauvres seulement. Ils ont des goûts honteux. vous avez vu les commentaires de mes livres sur Amazon ?
– Oui, mitigé.
– Voilà. Aucun goût ! C’est pour ça qu’avec d’autres auteurs on a monté un plan : ne plus les faire lire. Ça fait des années qu’on prépare le terrain : Musso, Levy, ils n’existent pas. Ce sont nous, grands écrivains, qui rédigeons leurs textes pour la masse. Grâce à ces livres, nous avons abaissé la profondeur de la deep slow reading. Aujourd’hui nous y sommes. Seuls les plus méritants peuvent se jeter dans la vraie littérature. Vous voulez une preuve ? Vous êtes vous battu avec Le livre de Dave ?
– Oui. J’avoue.
– Voilà. Vous allez vous écroulez. C’est la vie.
– Mais non, je vais continuer à lire… d’ailleurs j’ai mon kindle…
– Ha ha ! La lecture numérique ! Vous êtes fait. Bref, où est la caméra. Ah oui, ici. Donc, le Livre de Dave est un livre reposant sur une idée géniale, un travail de titan, il est épais, difficile à lire, il est un bon test pour savoir où l’on en est avec la lecture, et c’est un livre à découvrir. J’ai fini.
– Mais, mais, mais…
Sur ce, Willy quitta le plateau, sans qu’on eu besoin de le sauver. Il retrouva Arnold dans les vestiaires. Et tout d’eux s’en allèrent bras dessus bras dessous.
Je restai seul, face aux questions que venaient de soulever Self.
Et si la lecture était en voie de disparition ?
Et si son roman était non pas un livre, mais LE LIVRE !
Non pas la Bible, le livre test. Celui qui permettrait de valider son permis de lecture, celui qui permettrait de dire en soirée, « vous voyez, je fais partie de la haute, je me le suis tortoré », celui qu’on lirait genre aux JO de lecture, pour déterminer la médaille d’or de la deep slow reading (Il a lu avec une profondeur de concentration de 30 mètres ! Un record !).
« Qu’est-ce qu’on branle ? » me demande la régie.
– C’est ainsi que se termine notre émission. La semaine prochaine, nous n’inviterons que des livres. Ils sont moins pénibles. Et ils ne fuient pas le plateau. Au revoir, et n’oubliez pas :
Le chauffeur de salle fait signe à la foule qui crie : « Vous vous ennuyez ? Lisez ! »

Tata taaaaaa
Tata taaaaaa
Toumtoum touuuuuum
Toumtoum touuuuuum
Tibiditi
Tibiditi

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