Homo superior 2

## Avertissement : ceci est une fiction fictionnelle, sauf pour les parties véridiques. Fan, kiffez ! (ou pas) ##

Rappel de l’épisode précédent :
Je suis né à Melun. Génial hein.
Sur le parking des profs du collège, on parlait du Lycée avec des potes en sirotant des binouzes. Là, y a un truc enflammé qui est tombé sur le parking. Y a eu un fracas énorme, les bagnoles des profs ont explosé.
On a été soufflé. Moi surtout. J’ai roulé et je suis venu m’encastrer dans un lampadaire. La douleur m’a tout brouillé, mais ce que je me souviens, c’est qu’un mec s’est posé à côté de moi. Il portait des bottes rouges et un pantalon moulant de gymnaste. Il a posé sa main sur moi et après y a eu comme une chaleur. Je me suis réveillé à l’hosto. Je passe rapidos sur mon démoulage, la rééduc, les médocs pour pas souffrir, pour en arriver aux analyses et aux toubibs qui ont balancé à mes parents :
— Madame, monsieur, nous avions encore quelques doutes, aussi nous avons vérifier le code génétique de votre fils.
Et la conclusion :
— Le super coup de main qu’il a reçu a modifié son génome.
Maman a conclu la scène en venant m’embrasser.
— Mon fils, un super héro.
Y avait de l’espoir dans cette phrase.
C’est pour ça qu’après, ça a un peu merdé.

*
* *

Pas tout de suite. Je me souviens qu’au début, quand on est rentré à la maison, ça allait plutôt bien. On vivait dans une petite baraque, pas loin de la gendarmerie, rue Jehan de brie. J’ai jamais trop pigé pourquoi ils avaient écrit Jean Jehan, mais c’était là. Une rue passante, à côté de l’école. C’était pratique parce qu’avec les potes, quand on finissait les cours, on fonçait dans ma chambre pour écouter des cassettes qu’on copiait et recopiait au gré de nos humeurs. Je me rappelle de ces fins d’après midi où le radiocassette crachait les Gun’s, Metallica, Sepultura, ces groupes qui partageaient notre rage de vivre, avec leur look qu’était comme une agression pour nos parents, pour ça qu’on foutait des posters sur tous les murs de nos chambres. On pigeait rien aux paroles et on s’en foutait. Tout ce qui comptait c’était l’énergie. C’est toujours le cas d’ailleurs.
Bref, quand j’ai retrouvé mon univers, j’ai cru qu’on oublierai tout, que la vie reprendrait son cours, à tord. La fin d’année rimait avec Brevet des collèges, j’avais pas vraiment révisé et même si le toubib m’avait interdit d’aller à l’école, je pouvais passer cet examen inutile, je dis inutile car qu’on le chope ou pas, ça changeait rien à la suite.
Et la suite justement, je devais remplir le formulaire de voeux pour dire dans quel lycée je voulais poursuivre. J’en avais parlé avec mes potes et nous, nous voulions nous inscrire à Jacques Amyot. C’était la voie royale pour les élèves moyens, surtout pour celles qui voulaient faire des études de lettres, et donc pour ceux qui voulaient étudier celles qui voulaient faire des études de lettres.
On soupçonne pas combien les stratégies sexuelles influencent les trajectoires scolaires.
Bref, en attendant le BEPC, je révisais sous la pression de mes parents. Ils tournaient autour de moi comme deux vautours prêts à fondre sur moi pour m’ensevelir d’attentions et m’étouffer d’amour. C’était un poil insupportable. Pour avoir la paix, je faisais le service minimum, sans pression, parce qu’au fond j’en avais pas, et quand le courrier du directeur est arrivé, j’ai senti que le vent allait tourner.
C’est papa qui s’est pointé pour en parler. Il s’est contenté d’un simple :
– On a rendez-vous avec ton dirlo.
C’était sobre et efficace, tout lui quoi.
Le rendez-vous était fixé la semaine suivante. Une semaine de suspens. Au fond, je sais pas qui était le plus tendu : papa ou maman. Moi, je m’en branlais un peu. J’imaginais que c’était pour causer de la bière retrouvée au milieu des décombres, sur le parking, ou juste pour me zieuter avant que je déguerpisse dans un autre établissement. J’avais tord. Encore.
Le mardi, quand on s’est installé devant le bureau en vrai bois du dirlo, qu’était genre disproportionné pour le petit bonhomme que c’était, papa et maman étaient tendus. Moi, je matais les caissons à droite qui contenaient tous les dossiers scolaires des élèves. Je me suis dit qu’en modifiant le mien, je pourrai changer ma vie : un 18 par-ci, un 17 par-là, et le glandeur devenait le génie du coin. C’te blague, avec les potes on aurait rigolé comme des baleines…
– Tu as entendu ? demanda papa.
– Quoi ? j’ai dit.
Le dirlo, du haut de son mètre soixante et de ses moustaches démodées, à décroiser les bras pour poser ses mains sur le bois de son bureau, il s’est penché en avant pour répéter :
– Vos choix d’école sont à revoir. Avec votre nouveau… statut, vous devez rejoindre une école spécifique.
– Quoi, un truc genre pour les surdoués ?
– Pour les gens différents, qu’il précisa rapidos.
Sur le coup, j’ai tenté d’imaginer un lycée avec que des homo superior, sans vraiment y arriver.
– À Melun, il n’y a que deux établissements qui disposent de ce type d’encadrement : le lycée Jeanne d’Arc et Léonard de Vinci.
– Jeanne d’Arc est privé, a dit papa.
– Oui, et leur coût est important. Sans doute trop…
– Mais, est intervenue maman, Léonard de Vinci, c’est un lycée technologique.
– Je sais, je sais. Il existerait bien une ultime solution, une école publique sur Paris…
J’ai vu à la tronche de papa que l’option parisienne le bottait pas trop. Pas besoin d’être un génie pour l’imaginer en train de calculer à combien ça se chiffrait. Le plus raisonnable et le plus probable, restait ce lycée bas de gamme dans lequel aucun de mes potes voulaient aller. On le connaissait de réputation : c’était une casse à élève. Tu y entrais avec peu d’espoirs, tu ressortais avec un BEP ou un CAP indigne, un de ces diplômes qu’on donnait aux gamins pour se débarrasser d’eux et les laisser pourrir à l’ANPE. Ce lycée, c’était une promesse de no-futur hallucinante. Et aux épaules voûtées de maman, je voyais bien qu’elle pensait la même chose.
Faut dire, mes parents avaient toujours considéré l’école comme un tremplin social. Vendanger ses études revenait à s’auto-condamner à une vie de merde. Pour ça qu’ils me poussaient un peu. Un peu beaucoup ces derniers temps parce que je résistais un peu.
Là, le dirlo me proposait rien de moins que tirer un trait sur une vie normale, en quelques mots, juste parce que j’avais eu un super coup de main.
Un super coup de main pour une super merde.
Sympa le super qui m’avait aidé.
– Bon et quoi, a poursuivi papa, ils proposent quoi à Léonard ?
– Un diplôme général et une section courte.
Comprendre un de ces fameux BEP ou CAP.
– Et en général ? Bac S ?
– ES.
– Merde… a soufflé papa.
Le directeur a fait genre de n’avoir rien entendu. Il pigeait, ça se voyait, mais il voulait pas trop intervenir, pour pas trop se mouiller.
On a encore discuté un peu, enfin les vieux et le dirlo, puis nous sommes rentrés à la maison, un peu sonnés.
Papa a passé quelques coups de téléphones, maman a pris quelques Martini et moi, dans ma chambre, j’ai mis une cassette vidéo dans le magnétoscope. J’ai passé un moment sans réfléchir, les yeux braqués sur la télé.

J’ai loupé mon BEPC.
J’ai été reçu à Léonard.

Le lycée était à côté du collège. C’était un ensemble de bâtiments moches, pas délabrés, mais moches. Déprimants. La couleur dominante c’était un gris béton, sur lequel y avait la poussière du temps qui venait les foncer. Y avait plein de fenêtres partout, avec des rideaux extérieurs, en lames. Beaucoup étaient de traviole, cassés, inutilisables. Pi sur certains murs  y avait des plaques blanches crasseuses de collées, pour genre, embellir le tout, sans y réussir. Le lycée était construit en forme de U, avec un terrain de foot creusé au milieu. Ça faisait comme un amphithéâtre, bordé d’arbres et de bancs, sur lesquels s’agglutinaient les lycéens. Cette architecture proposait une mise en scène pas saine : quand on entrait, tous ceux déjà là vous mataient passer, en insistant bien. Les élèves – les plus mauvais des collèges environnants – vous suivaient pour vous jauger. Démarche, carrure, couleur, accent, quartier, n’importe quoi pouvait vous définir, et donc vous exclure. Pour ces gars là, c’était important de classer, trier, d’étiqueter. Y avait un jeu d’alliance derrière, un jeu de violence, complexe et tordu. Y avait aussi d’autres trucs qui pouvaient modifier votre « classement » : être le frère d’untel ou être pote avec truc. Manque de bol, j’étais fils unique et mes potes avaient été reçus à Jacques Amyot. À eux les étudiantes de lettres. À moi ces mecs chelous avec leurs tronches… chelou.
Pour pas me faire remarquer, j’ai vite pigé que le mieux, c’était de la fermer, d’avancer, de rejoindre la salle de classe et de se coller sur la chaise pour écouter le prof, puis une fois les cours finis, de se tirer sans faire de vagues, et recommencer le lendemain.
Les profs étaient sur la défensive. On les sentait tendus, à l’affût. Ils se méfiaient de nous… je dis nous alors que je devrais dire de je. C’est pas français mais c’est l’idée. Alors de je parce que les autres, je les connaissais pas. Je cherchais pas trop à les calculer. Je voulais en finir rapidos avec le Bac, puis… je sais pas, c’était l’objectif à court terme de tout le monde : avoir le Bac. Tout le monde avait que ça à la bouche depuis Mitterrand, des profs aux directeurs, des parents aux employeurs, des mecs de l’ANPE qu’on voyait dans les reportages aux chômeurs qu’avaient pas eu la chance de l’avoir. À les écouter, on croyait qu’ils parlaient d’un truc chanmé, d’un must have pour réussir, ou juste pour survivre, alors qu’en fait c’était qu’un check point vaguement utile. Mais j’y reviendrai.
Le prof dont je me rappelle c’était le prof d’histoire. Lors du premier cours il s’est lancé dans une tirade pour rappeler les droits et les devoirs des lycéens, terminant son speech par :
– À la moindre insulte, à la moindre posture menaçante, je porterai plainte. Vous êtes adultes, vous devez assumer vos actes, parce que vous pouvez finir en taule. Vous êtes prévenus !
Grosse ambiance quoi.
On s’était regardé avec les autres, l’air un peu cons. C’était la première fois qu’on nous parlait sur ce ton et sérieux, personne avait kiffé. Y en avait deux qu’avaient l’air vénères. Je trouvais qu’ils exagéraient de se vénère pour si peu, même si j’étais un poil choqué. Au fond, le prof jouait un rôle de méchant pour nous cadrer vite fait bien fait. Je pensais qu’il surjouait parce qu’un lycée, c’est pas si dangereux.
J’avais tord.
Y a eu des bastons, des tables jetées par la fenêtres et un mec balancé dans l’escalier, qu’est toujours dans le coma je crois, j’étais loin d’imaginer qu’il y avait une telle violence dans tous ces gars, dans leurs mâchoires et dans leurs poings. Et dans ces murs : ils jouaient un rôle catalyseur, ils faisaient genre comme écho à toute la merde qu’il y avait en eux. On pouvait presque la voir filer par tous leurs pores de leur peau, s’échapper et s’agglomérer, pour rebondir contre l’enduit sale et éclaté, et revenir dans les coeurs pour les aigrir un peu plus.
Voilà, c’était ce genre de lycée. Une casse, comme je disais. Comme seul l’État sait en faire.
J’ai tenté de lutter contre tout ça, mais j’avais pas les épaules, j’avais pas le coeur, ni la lumière pour résister.
J’ai loupé mon bac une première fois.
J’suis resté un an de plus dans cette atmosphère puante. Parce qu’en vrai tout n’était pas si noir. On s’habitue à ce genre de lieu détestable, on finit par s’y attacher, parce qu’on y rencontre des gens qui sont tellement différents, tellement loin des êtres normaux, que leur laideur finit par les rendre beaux. J’ai finit par aimer ce lycée. Enfin, pas tant le lycée que ma bande. Parce que je m’étais fait des potes. On tapait la bringue tous les weekends. Alcool, drogue, on faisait les quatre cent coups.
J’aimais bien ces mecs.
Voilà, c’est à cause d’eux que j’ai loupé mon bac. J’avais les capacités pourtant, mais pas la motiv. Je voulais faire durer cette parenthèse un an de plus.
Le plus beau ?
Par solidarité, ils ont loupé leur bac aussi.
Des vrais potes.
Pi y avait elle. Je t’en ai pas parlé parce que… parce que.

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