Homo superior 7

## Avertissement : ceci est une fiction fictionnelle, sauf pour les parties véridiques. Fan, kiffez ! (ou pas) ##

Rappel de l’épisode précédent :
Je suis né à Melun. Je suis un super héros. Enfin j’en ai les pouvoirs, mais j’en suis pas un. Je suis juste un mec dont la vie a basculé à cause d’eux.
Le Bac en poche, je me suis inscrit à la fac d’Evry. C’était pas la meilleure, juste la plus proche.
Je me souviens qu’on était à Evry 2,au KFC. On rigolait. Comme d’hab. Y avait Ahmed, Khaled, Mathieu et Aïsétou. Et là, y a eu trois gars qui ont crié dans la galerie. Ahmed, Mathieu et Aïsétou ont foncé voir. Je me suis levé à mon tour et j’ai couru pour les retrouver. Khaled était là, juste à l’angle du KFC, sa tête contre le montant de restau, ses jambes de l’autre côté. Il était coupé en deux.
La suite ?
Une vendetta.
– C’est quoi le plan ? que j’ai repris, en me roulant un joint.
– On la joue opération militaire. On débarque, on explose, on se casse.
– Je suis pas comme Mathieu ou Aïsétou, j’explose que dalle.
– Tu conduiras, qu’il me dit. Tu nous sortiras de là.

*
* *

Y avait une route qui n’en finissait pas de tourner, droite, gauche. La 306 se conduisait bien, rien à redire, mais je pigeais que dalle aux méandres du chemin. Ahmed était à la place du mort, de là, il me téléguidait. Derrière, Mathieu regardait par la fenêtre, un peu perdu dans ses pensées, et Aïssétou mangeait des BNs, pépère.
– On arrive bientôt, m’a indiqué Ahmed.
Ça voulait dire qu’il fallait faire gaffe, qu’il fallait pas faire d’excès de vitesse ou griller un feu ou n’importe quoi qui aurait attiré l’attention de qui que ce soit. Ce qui était fastoche parce que je suis plutôt un bon conducteur, genre calme et respectueux.
La route était devenue jolie depuis quelques minutes : large, bordée d’herbes et de fleurs, elle avait un air champêtre, qui faisait presque oublier les hautes tours blanches qui perçaient l’horizon.
– C’est quoi ça ? que j’ai demandé.
– Là où on va, s’est contenté de dire Ahmed.
Y avait pas de tension dans sa voix, juste de la détermination et là, je sais pas pourquoi, je me suis demandé ce qui les liait tous à Khaled. Et surtout Ahmed. Est-ce que c’était juste un ami d’enfance ? Un cousin ? Ou autre chose ?
Puis d’un coup y a eu un genre de tunnel devant nous. Mais très large, qui s’étendait en longueur, avec les tours comme posées dessus.
J’ai hésité à répéter ma question « C’est quoi ça ? », sauf qu’Aïssétou a balancé :
– Ché chanmé che bordayl !
– Parle pas la bouche pleine, lui a dit Mathieu.
– Chu che prends pou ma mère ?
– Nan, pour le mec qui prend plein de miettes de BNs sur la gueule pour pas un rond.
– Hum.
– C’est le parc-aux-lièvres, a dit Ahmed, toujours sur ce ton fermé.
Le parc-aux-lièvres, le genre de lieu dont on soupçonne même pas l’existence.
– Dépose nous au pied de l’escalier, ressors de l’autre côté et attends nous.
– OK.
Vite garé, vite largué, vite reparti. Les gars ont emprunté l’escalier et pendant qu’ils couraient au pas de course, j’ai fait demi-tour et me suis posé à la sortie du tunnel qui était en fait la dalle en béton sur laquelle les immeubles semblaient être construits.
Une fois à l’arrêt, je me suis roulé un joint, puis j’ai entrouvert la fenêtre, laissant la fumée se tirer par l’interstice. Comme je savais pas où les gars intervenaient, je savais pas où regarder, alors je me contentais de mater la fumée, tourner et retourner avant de se tirer de la bagnole.
Je pensais à tout, je pensais à rien, puis y a eu une déflagration. Une fenêtre d’une des tours a volé en éclat. Y a eu une seconde explosion, bien rouge, puis des rais de lumières noires qui ont fusé.
Je sais pas pourquoi, j’ai baissé les yeux, et j’ai suivi du regard les débris de vitres, et les morceaux de murs, chuter droit vers le sol.
Pas le temps de penser aux passants, mes yeux ont reparcouru la verticale pour en revenir au combat. Deux ou trois explosions, puis des cris.
Ni une, ni deux, j’ai balancé le joint par la vitre, puis j’ai allumé le moteur, les mains bien fermées sur le volant.
Attendre.
Mon cœur s’est mis à s’affoler. Tout comme mes poumons qui gonflaient et dégonflaient ma poitrine à une allure démente.
Attendre.
Bad trip ? Trop sensible ? J’avais les yeux qui tremblaient dans leurs orbites et les jambes qui voulaient se tirer avant la 306.
Attendre.
Puis d’un coup la portière s’est ouverte. C’était Mathieu.
– Fonce, qu’il a hurlé, mais fonce putain !
– Et les autres ?
– Ahmed est en haut.
J’ai jeté un œil dans le rétro de droite, et y avait bien Ahmed qui volait tant bien que mal avec Aïssétou dans les bras.
– Fonce merde ! a hurlé une nouvelle fois Mathieu.
J’ai enfoncé le pied sur l’accélérateur et les pneus ont crié, fumé, avant d’emporter la caisse à toute allure dans les rue d’Evry.
– On va où ? On fait quoi ?
Ce putain de plan n’allait pas plus loin que l’assaut. Quand je disais que c’était un plan con pour quatre cons.
– Va à la fac !
– Quoi t’as un cours ?
– Abruti, on se planquera au milieu des autres !
Je voyais pas bien dans le rétro central, d’autant que je fixais devant moi comme un cinglé, à la fois surexcité par la situation et par la drogue, mais il me semblait que Mathieu était blessé.
– Ça va ? que je lui ai demandé.
– On les a eu ces fils de putes.
– Et ça va ?
– On les a bien eu.
Là il a fait un bruit bizarre et je sais pas s’il a vomi ou juste dégluti, mais c’était vraiment deg.
J’ai roulé encore cinq minutes avant qu’Ahmed se pose devant la voiture. Il a jeté Aïssétou sur la banquette arrière avant de me rejoindre à l’avant.
Aïssétou souriait comme un âne.
Ahmed était toujours sombre.
– Putain qu’est-ce qu’on leur a mis ! a dit Aïssétou.
– Vous leur avez mis quoi ?
– Je te raconte pas mec, comment il s’y attendait pas. Un vrai tir au pigeon.
– Les machins noirs ?
– Ouais c’était moi, chanmé hein ! Comme à la foire, non, comme dans Shinobi, dès qu’un bougeait, je le dégommais, renvoyé direct chez sa mère !
– Terrible.
– Et les rouges, t’as vu les rouges ? Putain de Mathieu, t’aurai pu exploser tout l’immeuble. Sacré putain de Mathieu, un vrai faux calme ce gars !
Aïssétou décocha un faux coup de poing amical et admiratif dans l’épaule de Mathieu, Mathieu qui se contenta de gémir un peu. Il avait la tronche en sueur. Il souffrait. Je pensais soins, hôpital, mais comment emmener un blessé à l’hôpital quand tu viens de rayer un appartement d’un bailleur social ?
– Tu vas où là ? m’a demandé Ahmed.
– La fac, que j’ai répondu.
Ahmed a acquiescé. L’idée lui paraissait bonne.
À un moment, il a posé sa main sur mon bras. Il avait pigé que je flippais trop pour avoir un comportement normal.
– Respire, qu’il m’a dit. Respire.
Puis il a ouvert la vitre et s’est penché pour mater si on était suivi. On l’était pas. Mais y avait fort à parier qu’une bagnole pas du quartier, qui plus est qui a embarqué les gars qui ont fait du grabuge, a été remarqué par X passants qui pourraient les répéter à Y supers connards supers potes avec les supers connards d’Evry 2, tous ces supers connards se destinant à nous super casser la gueule.
Ahmed a refermer la vitre et a demandé à Aïssétou comment Mathieu allait.
– Pas bien, qu’a répondu l’autre. Y a une infirmerie à la fac ?
– T’es con ou quoi ? lui a balancé Mathieu. C’est pas d’un doliprane que j’ai besoin.
– Si tu me parles comme ça, je te filerai plus de BNs mec.
– M’en tamponne de tes BNs. Ahmed, me faut des soins sérieux…
Ahmed y pensait. Il y réfléchissait même depuis un bon moment mais sans trouver une bonne idée. Ça se voyait sur sa tête.
– J’vais l’emmener à Melun, que j’ai proposé. Je vous dépose à la fac et je me tire direction Melun.
Ahmed a hésité. Aïssétou s’en foutait. Il s’était remis à grignoter ses putains de gâteaux.
– Vendu, a conclu Ahmed. Et silence radio avant que je t’appelle.
– Ok.
Comme prévu, je les ai déposés, puis je suis parti dare-dare direction l’Est, ou le Sud, j’ai pas bien pigé comment la Francilienne se démerdait pour me ramener chez moi.
Avant d’arriver à Melun, je me suis garé dans les bois, j’ai laissé là la bagnole, puis j’ai pris Mathieu, son bras sur mes épaules, son corps contre le mien, son sang s’écoulant doucement sur mes fringues.
– Qu’est-ce qui s’est passé mec ? que je lui ai demandé, tout en reprenant la route à pied.
– J’ai tué un mec, qu’il a lâché.
Là j’ai eu comme un vieux frisson qui m’a parcouru le dos.
– J’ai tué un mec, qu’il a répété.
Et dans sa phrase y avait un ton qui signifiait qu’il était foutu, qu’il le savait, mais qu’il l’assumait pas encore tout à fait.
Il était comme nous tous, il rêvait de faire des trucs biens, même si son destin le rabaissait sans cesse à faire des trucs médiocres. Malgré toutes ces déconnades et sa flemme, il espérait s’en sortir, vraiment, sauf que la mort de Khaled avait déclenché quelque chose en lui, ou cassé quelque chose, c’était dur à dire.
Et là, dans cette phrase, y avait une nouvelle trajectoire, des possibles qui se fermaient, des espoirs qui se fracassaient contre un réel irréel.
– J’ai tué un mec, qu’il a répété encore une fois.
Et il l’a répété jusqu’à ce qu’on arrive aux premiers quartiers où je l’ai abandonné.
J’ai couru jusqu’à la cabine la plus proche et j’ai appelé les pompiers pour qu’ils le prennent en charge. C’était sans doute une connerie aussi, mais quoi, j’allais pas le ramener chez moi dans son état. Genre « Pardon Papa, salut Maman, faites pas gaffe à lui, c’est juste un pote en tain de pisser le sang parce qu’il vient de buter un super connard »

Pas possible quoi.
J’ai attendu derrière un immeuble que les pompiers débarquent. Mathieu était à moitié dans le coltard. Il leur a balancé sa salade, un agression tout ça, sauf qu’ils ne l’ont pas cru. Évidemment.
Là, j’ai senti combien la vengeance d’Amhed, le meurtre de Mathieu, et les rafales d’Aïssétou pouvaient sceller mon destin, combien des potes pouvaient t’emporter dans leur merde sans que tu aies rien demandé, juste en ne luttant pas contre eux.
J’aurai pu me rendre à la police.
J’aurai peut-être dû.
Sauf que je m’en sentais pas la force.
Je me suis roulé un énième joint et je l’ai fumé tranquille, sur un banc, face aux murs sales qui encerclaient l’horizon comme ils encerclaient les vies de leurs habitants.
J’ai fumé à la santé de ces murs.
Le temps que la nuit s’abatte sur moi.

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