Homo superior 9

## Avertissement : ceci est une fiction fictionnelle, sauf pour les parties véridiques. Fan, kiffez ! (ou pas) ##

Rappel de l’épisode précédent :
Je suis né à Melun.
Je devrai être un super héros.
Enfin j’en ai les pouvoirs, mais j’en suis pas un. Je suis juste un mec dont la vie a basculé à cause d’eux.

*
* *

Se réveiller dans une cellule, c’est comme reprendre vie dans un sarcophage : c’est étroit, pas lumineux, poussiéreux. On est de suite claustro même si on l’est pas. Pi les odeurs prennent à la gorge. Genre tous les fluides de tous les êtres humains se concentrent pour former un parfum infect, qui te fout la gerbe même si tu respires doucement. Oublie de respirer par la bouche, ton déjeuner en profiterait pour se tirer. Juste, lève-toi, laisse tes chaussettes racler le béton, et marche un peu, pour te perdre dans tes pensées, pour oublier un peu le présent, l’endroit, les raisons qui t’ont emmenée là et ton corps, qui ne peut faire qu’attendre.
Parce qu’attendre ici rend barge n’importe qui. C’est sûr. Depuis deux heures que je suis enfermé là, j’ai déjà perdu la moitié de mon cerveau, dissout dans les relents d’urine.
Quand les flics viennent te chercher, limite tu veux les embrasser. C’est genre tes sauveurs. Sauf qu’ils te plaquent, te menottes, te parlent comme une merde, histoire de bien instaurer de suite un rapport de force.
OK, personne est fort face à un flic. Surtout pas un gars emprisonné.
Alors tu les suis, docile, jusqu’au bureau où ils t’assoient. Là c’est fastoche, c’est un jeu de questions-réponses. Mais faut pas répondre n’imp. Sinon, c’est direct les emmerdes. Alors faut réfléchir, inventer en même temps, tout en s’appuyant sur la réalité, qui donne un fond de vérité aux conneries que tu t’apprêtes à sortir.
Mais tout ça, c’est de la théorie.
Parce que quand le flic commence à t’interroger, tu te fais dessus et la vérité sort de ta bouche sans que ton cerveau puisse l’en empêcher.
Parce que ton cerveau c’est ton maillon faible.
Il réfléchit trop.
Il anticipe trop.
En un mot, il fait chier.
– État civil OK. Venons aux faits.
Le flic assis derrière son bureau à une tête de rien. Même pas méchant, même pas scrutateur, juste il frappe sur une machine à écrire usée. Chaque touche émet un clac métallique qui fait mal aux oreilles. J’imagine pas l’état de ses doigts à force de frapper les lettres, ni même l’état de son esprit après avoir entendu des montagnes de conneries, comparables à celles que j’aimerais lui servir.
Parce que la situation est critique.
Je suis menotté et derrière moi deux autres fonctionnaires de police me surveillent. Le gars qui a stoppé la voiture n’est pas présent, mais il est dans la parage. Y a fort à parier qu’à la moindre embrouille, il débarquerait pour me rouster sévère. Alors je la joue pétochard, impressionné et coopératif. Histoire de montrer que c’est pas mon genre d’être là.
Et je tente de mentir un peu.
Parce que je suis pas complètement con.
– J’ai eu un pressentiment, comme si genre quelque chose qui craint allait se produire.
Le flic tape en rythme, sans me lâcher du regard. Et je suis soufflé de voir qu’il a même pas besoin de mater les touches de la machine à écrire.
– C’est à ce moment ? qu’il reprend pour maintenir le tempo.
– Que j’ai décidé de piquer une bagnole. Parce qu’il fallait agir, tout de suite.
– C’est pas malin, vous savez.
– J’fais souvent des trucs pas malins. C’est un peu ma spécialité.
Je repense à Évry, à Mathieu, à Ahmed et à Aïssétou, et je flippe que le flic ai entendu parler d’un de ces quatre points.
– Vous pouvez m’en dire plus.
Comment je suis con sur ce coup lààààààààààà.
– Nan mais j’arrive jamais à… Enfin quand je tente des trucs, ça foire quoi. J’ai pas, je sais pas, la formation, les compétences…
– Revenons-en à la voiture.
– Oui la voiture, donc je l’ai empruntée, je comptais pas la tirer, je veux dire, un super héros, ça a pas besoin de piquer des caisses quoi…
– Sauf si ce n’est pas un super héros.
– Sauf si c’est pas un super. Oui. Mais j’en suis un. Enfin, je tente d’en devenir un.
– Vous avez un certificat de super étude ? Un super diplôme ? Quelque chose qui prouve que vous êtes en formation.
– Je suis à la fac d’Évry.
– Votre inscription est arrivée au bout. Vous ne l’avez pas renouvelé.
– Ah, vous avez vérifié. Ça tombe bien parce que justement je savais plus quand c’était, du coup faut que je contacte le service de la scol pour me faire réinscrire…
– Pas la peine.
Un gars vient de passer la porte. Sa voix me dit quelque chose, mais quand je me retourne, son visage me parle pas. Un peu vieux, coupe genre militaire, avec ces cheveux blancs.
Mais je suis pas du genre à cracher sur une aide providentielle. J’acquiesce et j’attends que l’inconnu poursuive.
– Ça fait un moment que je suis ce lascar et il a besoin d’un bon coup de pied au cul, qu’ajoute le mec.
– Nan mais il exagère, que je commence.
– Ta gueule, qu’il me lance le nouveau venu. Pour ton bien, ferme ta gueule.
– OK.
Il ouvre sa veste et tire un insigne qu’il montre au flic à la machine à écrire.
– On a affaire à un paumé qui s’est égaré. Je vais m’en occuper.
– Je dois rédiger le rapport, insiste le flic derrière le bureau.
– Dites que le petit a senti qu’une bombe allait péter à Moissy-Cramayel, qu’il a paniqué, qu’il a emprunté la première caisse venue.
– Je veux bien, dit le flic avec son formulaire, mais il sera sous contrôle judiciaire.
– Pas de soucis. Je m’en chargerai. Personnellement.
Là je sais pas pourquoi, mais dans le « personnellement » de ce mec, y avait quelque chose de ferme, de définitif. De « y a pas d’échappatoire alors n’y pense même pas ». Ça tombait bien, j’y pensais pas.
Le mec à la coupe carrée me regarda un moment, avant de demander qu’on me vire les menottes.
Bon gré, enfin surtout mal gré, le flic derrière moi me les retire. Il chuchote un truc que je pige pas, une insulte, je crois, ou juste un juron. Je sais pas.
Je me relève et remercie par quelques mots bien merdiques le mec.
– Me remercie pas, tes emmerdes commencent maintenant.
Mon grand-père disait toujours que peu d’hommes savaient sentir quand fermer leur gueule, alors, pendant mon enfance, il m’avait briefé à grands coups de pompes dans le cul pour me faire entrer sa sagesse toute quoi, médiévale, au point qu’aujourd’hui, je sens bien ces moments. Je sais qu’après le genre de phrases que je viens de me prendre dans la tronche, mieux vaut la boucler. Alors je la boucle.
Mon sauveur salue les autres, il leur serre la pogne et nous voilà dans les couloirs du commissariat à la recherche de mes affaires.
– Tu vas devoir rembourser cette caisse, tu sais ?
Point d’interrogation invitant au silence.
– Tu as du bol, j’étais pas sur ton dos cette semaine. C’est à cause de la carte qu’on m’a appelé.
La carte ?
La carte de visite. Je revois Fontainebleau, le caniveau, ce mec.
On continue de marcher. Je pige rien aux couloirs, aux bureaux, aux vitres au travers desquelles on voit des gars bosser, interroger d’autres gars ou juste ranger des papelards.
– Autant te prévenir de suite : ton contrôle judiciaire fait que un, tu es enregistré dans le fichier des supers à surveiller, deux, tu vas devoir pointer pendant un moment au commissariat.
Apparemment, personne a calculé Mathieu, ou il n’a rien dit. Je souffle un peu.
– Pour t’éviter ça, je vais te prendre sous mon aile. On va chez tes parents. Puis tu vas me suivre à l’école.
L’école ?
Il se retourne et me balance un regard bien dense, sérieux, hypnotique presque.
– Je ne suis pas un professeur X ou Y, je suis un formateur de super. Tu piges ?
Toujours pas de réponse nécessaire.
– Je vais t’en faire chier pour te remettre dans le droit chemin. Parce que t’as besoin de revenir dans le droit chemin. Je serai ta mère, ton père, ta femme, ton chien, je serai l’alpha et l’oméga de ton univers pendant ta formation. Je serai ton Dieu. Et ton Dieu s’appelle : instructeur Karl. Répète.
– Mon Dieu s’appelle Instructeur Karl.
Il sourit, un peu.
– T’es pas trop con.
– Mais…
– Mais ?
– Je veux pas être militaire…
– On y va.
On descend deux escaliers avant de retraverser un couloir au carrelage vieillot, par endroit éclaté. Les murs sont sales, de longues trainées de baskets ont dessiné dessus des lignes de fuite, comme des espoirs de s’en sortir.
Ma ligne de fuite est ce mec à la carrure raide, aux paroles violentes, à la voix tranchante, sèche. Autant dire que ce n’est pas une vraie fuite, car en le regardant, j’ai l’impression de passer d’une cellule de béton à une cellule de chaire, tout aussi rude, tout aussi ferme. Peut-être même plus étroite. Parce que je pressens que sa surveillance sera très étroite.
– Et tu as bien raison.
Hein ?
– J’t’ai pas dit ? Je suis télépathe.
Et merde.
– Pas ce vocabulaire avec moi.
On se retrouve devant un accueil où Karl donne mon nom, mon prénom, ma date de naissance. On lui sort une boite où je retrouve mon larfeuille, ma montre et quelques conneries qui trainaient dans mes poches. Y a mes pompes aussi, et ma ceinture.
Il manque l’argent que j’avais sur moi.
– Tout est là, nickel, conclut Karl en remerciant vite fait le fonctionnaire.
On reprend notre chemin et avant de sortir, on tombe sur le flic qui m’a intercepté. Il doit faire dans les deux mètres, des bras larges comme des cuisses, un torse énorme, une tête de bœuf.
Karl lui fait signe. Le mec acquiesce. Il me suit des yeux, genre : « j’espère jamais te revoir ». Et je me défile rapidos, genre : « et moi donc ».
Et nous voilà dehors.
Karl m’amène dans sa bagnole. Une fois les portières refermées, il prend deux secondes pour me scruter. Je sais pas s’il cherche à lire en moi, ou juste s’il me mate…
– J’essaie de lire en toi.
– OK. C’est gênant.
– C’est ma manière de te dire tout de suite : pas de mensonge entre nous.
– Hum. OK.
– Je sais que tu as déconné un peu. Je mets ça sur le compte de ta jeunesse, du désespoir, du fait que tu te sentes perdu.
– Hum.
– Mais dis-toi que c’est fini, bien fini. Parce que là il ne te reste que deux options, que deux chemins possibles, et l’un d’eux est Fleury-Mérogis. Pigé ?
– Pigé oui.
– Bien. Commençons par tes parents. On va leur parler de ta nouvelle école.
– C’est quoi, une école pour super ?
– Y a de ça.
Il s’assoit face à la route et démarre. Il ne nous faut que trois minutes pour arriver dans ma rue, une minute pour se garer et une minute encore pour sortir de la caisse et sonner chez mes vieux.
– Tes parents.
C’est relou un peu.
– Et c’est que le début.
Vous êtes obligé de tout lire ?
– Tu préférerais que je parle dans ta tête ?
– Non.
Lorsque ma mère ouvre la porte et voit Karl, son visage perd son sourire maternel. Son allure trop martiale trahie…
– Allure trop martiale. Attends de ramper dans la boue.
Karl sourit et fait coucou à ma mère.
– Bonjour Madame, je suis là pour vous informer que votre fils a réussi nos tests d’entrée. Il est reçu dans notre école.
Intriguée, elle appelle le vieux qui débarque avec son dos un peu vouté, sa dégaine usée, son tronche vieillit par son taf de merde.
– Va vraiment falloir que tu me surveilles ce langage, me chuchote Karl.
– Hey, dans ma tête c’est ma vie privée.
– Ressors-moi une fois ce genre de connerie et tu verras qu’on peut vachement jouer avec les mots vie et privé.
Je pige pas. Mais la menace est suffisante. Pour le moment.
Papa finit par ouvrir le portail. Il porte ses chaussons troués, des espèces de Charentaises qu’il avait achetées en promo en Normandie, dans un bouiboui. Sur le coup, il les avait kiffés, genre chausson-souvenir-de-vacances, sauf que deux semaines après, il avait l’entourloupe : le tissu avait cédé. Je sais plus combien il les avait payés, mais ça lui avait pris bien une semaine pour encaisser l’arnaque. Depuis, il voulait plus retourner en Normandie. Un trou perdu, un coin de voleurs qu’il disait.
– Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’école ? avait demandé papa tandis que Karl s’asseyait sur le fauteuil paternel.
– Votre fils a postulé dans notre école de super héros. Il vous a sans doute caché sa démarche, car notre sélection est très forte : seuls vingt pour cent des admissibles sont acceptés.
Papa avait croisé les bras. Maman commençait déjà à me lancer un regard fier.
– Bref, votre fils est pris. Les coûts de l’internat sont avancés par le ministère de l’Intérieur, il devra travailler trois ans pour l’état pour les rembourser.
– Une formation avec un travail au bout ? avait dit maman.
– C’est cela.
– C’est une école qui mène à quoi précisément ?
Toujours ce souci de la précision le vieux.
– Des métiers de police, d’enquête, de soutien. Là où les super héros peuvent vraiment s’épanouir.
Papa avait acquiescé, limite déjà fier lui aussi.
– Pour des raisons de confidentialité, vous ne pourrez pas venir le visiter. Il sera par contre autorisé à rentrer lors de ses permissions.
– Il sera où ?
– À Fontainebleau. Au centre national de formation de la super police judiciaire. Le CNFSP. Nos locaux se trouvent dans ceux du CNFPJ.
– Policier… que lâche ma mère.
– Flic, que dit papa.
Keuf, que je pense. Merde…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.