Homo superior 11

## Avertissement : ceci est une fiction fictionnelle, sauf pour les parties véridiques. Fan, kiffez ! (ou pas) ##

Rappel de l’épisode précédent :
Je suis né à Melun.
Je devrai être un super héros.
Enfin j’en ai les pouvoirs, mais j’en suis pas un. Je suis juste un mec dont la vie a basculé à cause d’eux.

*
* *

Mais pas tout de suite.
J’en reviens à la première semaine, qui a été difficile, mais difficile, j’avais l’impression d’être KO H24. Le corps tout d’abord, arrivait pas à suivre les exercices, les footings, les parcours du combattant et tous ces trucs qu’on nous faisait faire pour atteindre un niveau physique acceptable. Fallait un mental de ouf pour tenir, et rien que ces sept premiers jours, des gars se sont effondrés. Pacôme était pas loin, il disait à tout le monde que la dernière fois qu’il avait fait du sport, ça remontait au collège, sauf que le collège, ça commençait à remonter justement, du coup, entre courbature et épuisement, il lui est arrivé de chialer comme un môme. Faut dire que costauds ou pas, ça n’avait pas d’importance, parce que ce qui comptait c’était l’intérieur, le caractère, la volonté. Le lieutenant-colonel parlait toujours du métal dans lequel on avait été forgé. Il voulait le voir, le faire chauffer à blanc, pour nous forger une seconde fois. C’est comme ça qu’il disait, nous forger une seconde fois. Et pour Pacôme, cette forge tenait plus de la purge. Pour Tintin par contre, c’était l’éclate.
Et les cours. Le corps brisé, c’était super dur de se focaliser sur ce que nous racontait les formateurs, sauf pour Merlot, qui kiffait grave apprendre. Y avait des histoires de droit, du cadre législatif, légal, qui entourait les forces super, des trucs chiants comme la mort, qui revenaient à dire qu’en dehors de tout encadrement, nous n’avions pas le droit d’user de nos pouvoirs. À cause des cercles. Les cercles qui vont des super politiques, des super militaires, flics, puis des super civils et enfin les super racailles. Chaque cercle offre des droits et des devoirs, voire des obligations, pour les hors-la-loi.
On finissait les quatre heures de formation le cerveau en gelé, mais les blocs-notes bien remplis. On était tous studieux.
Puis les formations aux corps-à-corps, aux armes et aux pouvoirs. On avait juste entraperçu ce que ça allait être, avec des sortes d’initiation, dans lesquelles Black Wood était le plus emmerdé, son pouvoir étant pas facile facile à utiliser. Moi aussi j’étais pas trop à l’aise :
– Tu peux pas mourir ? Et ?
– C’est tout, que j’ai répondu au lieutenant-colonel.
Son second s’était approché pour me jauger.
– Aucun pouvoir offensif, défensif ou de soutient ? qu’il avait demandé.
– Juste je peux pas mourir.
– Merde Gautier, tu sers à rien.
Ça avait fait marrer les rangs de futur super derrière moi, mais moi, ça m’avait bien gavé. Parce qu’au fond, c’est un peu ce que je ressentais depuis des années, j’avais l’impression de ne servir à rien, de n’avoir rien à faire sur cette planète, de n’avoir aucun avenir.
– On vous trouvera bien un truc Gautier, avait conclu le lieutenant-colonel.
J’étais ni consolé ni rassuré. Aussi, quand le week-end a pointé son nez, on était pas mécontent de pouvoir souffler.
Ceux de ma chambrée, comme la plupart des mecs, s’étaient tirés dès le vendredi soir. Je m’étais retrouvé un peu seul, avec les gars qui devaient monter la garde. Ils étaient tous officiers, sauf deux, dont les parents, d’anciens officiers, faisaient des pieds et des mains pour qu’ils deviennent de futurs officiers en place dans les ministères, une carrière toute tracée, poussée au cul, sans prise de risque ni de recul.
Allongé sur mon lit, mon baladeur sur les oreilles, j’écoutais le dernier Assassin, Touche d’espoir, en scrutant le plafond. Black Wood m’avait laissé son lecteur CD avec à l’intérieur le disque d’un jeune groupe, le Saîan Supa Crew, que je connaissais pas. Je me le réservais pour samedi, ou dimanche, parce que je n’avais pas l’intention de rentrer. Quand je repensais à mes vieux, aux dernières engueulades et au regard plein d’espoirs de maman, et un peu méfiant de papa, je me sentais pas le courage de les affronter tout de suite. J’avais envie d’avancer un peu, avant.
Touche d’espoir.
Ce titre était à l’image de ma vie. Touche d’espoir. Karl m’en avait offert une.
Karl.
Je ne l’avais pas revu depuis le début des cours. J’avais imaginé qu’il bossait ici. À tort. En réalité, et je m’en rendais compte avec une certaine méfiance, j’ignorais tout de lui.
J’avais évacué cette pensée au réfectoire, en mangeant seul à ma table, loin des autres officiers, mon écouteur toujours vissé sur les oreilles. Puis j’étais retourné dans ma chambre. L’extinction des feux eut lieu à l’horaire habituel. De toute manière, épuisé comme je l’étais, je n’aurai pas tenu longtemps. Je me suis effondré, sans prendre la peine d’éteindre la musique.

– Hey !
Je suis perdu entre sommeil, rêve et réalité.
– Hey ho !
J’entrouvre les yeux. Un des officiers se tient à ma droite, un autre à ma gauche, est penché dans mon casier.
– Y s’passe quoi ? que je demande.
– Du matériel a disparu. T’aurais rien vu ?
– Non, quel type de matériel ?
– Des fringues, des combis d’entrainement, des conneries destinées aux recrues.
– Non, j’ai rien vu.
L’officier en charge de la fouille déverrouille le casier de Pacôme avec son pass. À l’intérieur de la porte, une Espagnole, à moins que ce soit une Portugaise, affiche ses rondeurs et son intimité.
– Pas règlementaire ça, balance l’officier en se marrant un peu.
– On en reparlera lundi. Donc rien de rien ? qu’insiste celui qui est au-dessus de moi.
– Non. Rien.
Pas vraiment satisfait, mais privé de preuves, l’officier me laisse dans mon pieu. Je regarde l’autre terminer sa fouille, puis s’en aller. Je me redresse. C’est à cet instant que je sens le casque du baladeur. Me revient cette soirée bien naze en tête : la musique, dans le noir, la fatigue, le plafond, le sommeil.
Je le remballe dans mon casier, prends des affaires propres et direction les douches. L’eau juste tiède réveillerait un mort. Je la supporte à peine, je balance quelques insultes, puis je me frictionne rapidos. Une fois séché et habillé, je fonce au réfectoire pour le petit déjeuner. La bouffe n’est pas top, mais elle fait son office. Elle remplit l’estomac et refile un peu de pêche.
J’en suis à boire un second café quand j’entends les officiers se mettre. Ça attire direct mon attention parce qu’ils sont pas du genre à la jouer discret, bien au contraire, ils ont la voix qui porte, l’air très sûr d’eux, et ils sont d’une franchise toute militaire, en un mot, ils ne se cachent de rien et ne font aucun secret.
Je tends l’oreille. Difficile de piger de quoi il en retourne, mais je chope quelques mots. Ils parlent encore de cette histoire de matos, puis ils en viennent à des faits divers. Des histoires de petits braqueurs retrouvés explosés.
Ça me rappelle Evry, et de suite je repense à notre mission de vengeance. Aurait-on déclenché une guerre de gang ? Sérieux, c’est carrément possible : on sait tous comment ça commence : untel braque untel, qui frappe le premier untel et le premier untel dégomme le deuxième untel, alors là y a toute une ribambelle d’untels qui se ramènent et enveniment le truc et là, c’est pas comme des bastons de quartiers : on parle de gars qu’ont des pouvoirs, qui font voler, exploser ou détruisent des trucs comme si c’était rien. Et ça finit avec le SIGN, les Super d’Intervention de la Police Nationale, et ça ratatouille fort. Je les ai jamais vu, mais j’en ai entendu parler à la fac. Parait que quand ils entrent en scène, ils font pas de détails, ils dérouillent pour interpeler à tour de bras. Doit y avoir des prisons spéciales, quelque part, où ils balancent tous ces abrutis qui savent pas quoi faire de leurs pouvoirs. Mais je sais pas où. L’endroit doit être secret.
En suivant Karl jusqu’ici, j’ai laissé ces conneries derrière moi.
J’ai chopé ma deuxième chance.
Je prends mon plateau et le dépose près du cuistot. Un gars jeune comme moi, avec la coupe réglementaire, une carrure d’épaule bien large et des yeux d’un vert chelou.
– C’est Gautier ton blase ? qu’il me demande.
– C’est ça.
Il me jauge du regard.
– C’est Karl qui t’as amené parait.
– C’est vrai.
Il sourit.
– Il a toujours détecté les mecs en perdition.
– C’est possible.
Il se met à ranger quelques pains, le beurre et la confiture. Puis il rebraque ses pupilles émeraudes dans mes yeux :
– C’est un mec bien. Vraiment.
Bien que j’en sache rien, je me contente d’un :
– C’est sûr.
Dans le doute, toujours aller dans le sens des gens trop sûrs d’eux ; ça évite un nombre d’emmerdes incalculables.
– Bon ba salut, que je conclus en me tirant dans mes quartiers.
Là, les officiers me suivent du regard, l’air de se dire « lui, on va en profiter pour lui faire faire de la merde ».
Et ça a pas loupé, une heure plus tard ils sont venus pour me faire nettoyer tout l’étage.
La matinée à frotter, récurer, lessiver. Pour tromper le temps, j’avais allumé une radio en arrière-fond. Comme elle était réglée sur une station de vieilles musiques, je supportais les Sardou, Balavoine, et autre start de la variet, jusqu’à onze heures.
Je me souviens précisément de l’heure.
Onze heures.
C’est bizarre de constater combien certains moments sont attachés à quelque chose qui vous touche de loin, le cerveau fige ces instants dans votre crâne, et vous vous en souviendrez toute votre vie, alors qu’au fond, ça vous concernait pas vraiment, mais sur le coup, ça vous a choqué.
Ce qui m’a choqué, ce jour-là, à onze heures, fut ce gros titre : « Attaque à l’hôpital de Melun. Une partie du bâtiment a explosé, les soins intensifs. On dénombre des dizaines de blessés parmi les membres du personnel ainsi que parmi les patients. À l’heure actuelle, on ne sait pas ce qui c’est passé, mais les forces de police sont sur le coup. Elles ont littéralement envahi l’hôpital et toutes les sorties de la ville, les routes aux alentours, ont été fermées. Des barrages de police vérifient l’identité des conducteurs, les véhicules sont fouillés et l’hélicoptère de la gendarmerie vient juste de décoller. La ville est en état d’alerte. »
J’ai de suite pensé à Mathieu.
J’ai foncé dans les quartiers des officiers. Ils étaient tous dans leur salle de repos, fixés devant la télé. Les caméras braquées sur les restes du bâtiment encore fumant, les journalistes commentaient ce qui s’étalait devant nous : un corps de béton découpé, démembré, dans lequel le sang coulait sur le carrelage blanc, javellisé, aseptisé. Des restes de blouse d’infirmières, des pans de chemises vertes des chirurgiens et le bleu des champs opératoires, filaient des couleurs irréelles à l’incendie que les pompiers tentaient de maîtriser.
Puis la caméra s’est tournée vers le journaliste qui, la main plaquée sur l’oreillette, a déclaré : « On compte un disparu. Un certain Mathieu Vulin qui se trouvait en soins intensifs. »
Mathieu…
Des images de sa chambre. Sans doute dérobé par un caméraman débrouillard ou trompe-la-mort. On voit le mobilier atomisé, le lit volatilisé, et sur le sol et sur les murs, des tâches brunes, énormes, qui ont redécoré la pièce.
Et un officier qui dit :
– Vu la quantité de sang, il a été massacré.
Mathieu…

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