Les épées frappaient les boucliers, les targes volaient en éclat, les traits perçaient les armures et les chairs répandaient sur le sol leurs entrailles révélées au grand jour. Le sol absorbait les sangs entremêlés et les cieux accueillaient plus d’âmes qu’il ne le pouvait.
De leurs hautes demeures, les Dieux assistaient impuissants à cette folie meurtrière, à cet instinct de mort qui s’était libéré et avait conquis les royaumes de sur et de sous la terre.
Se jouait devant leurs yeux la fin des temps, le massacre du vivant, l’extermination de ce qui fut, et de ce qui sera. Longtemps restés spectateurs de ces scènes de morts, les Dieux intervinrent.
Après plusieurs siècles des luttes intestines, d’escarmouches et de batailles, orcs, gobelins, nains, elfes, hommes et bien d’autres créatures encore étaient fermement décidés à en finir. L’un des camps devait en sortir vainqueur et diriger le monde. Se joua alors la guerre la plus violente, la plus terrible et la plus totale. Les chroniqueurs l’appelèrent plus tard la Grande Guerre.
Au moment où les combattants se lancèrent à l’assaut sur le plus grand, le plus immense champ de bataille jamais vu, les Dieux intervinrent pour faire stopper les combats. Ils interrogèrent le cœur des chevaliers, des soudards et des mercenaires, pour lire leurs véritables intentions. Ceux prêts à poser les armes furent sauvés. Les autres périrent sur le champ. Ils furent balayés par un vent qui les transforma en poussière d’orgueil et de haine. Seules leurs armures demeurèrent debout, arme en main. Ces êtres non plus vivants, mais animés par une magie divine, eurent pour rôle de protéger les survivants de leurs instincts les plus viles. On les appela les Sentinelles.
Des milliers sentinelles se déployèrent dans les grandes villes, sur les routes et dans les campagnes. Elles sécurisèrent les châteaux, les rues, les champs, les espaces sauvages, désarmant les derniers hommes d’arme, surveillant les populations de leurs heaumes vides qui jamais ne se reposent. Elles adaptèrent leur forme, leur taille, leur puissance pour mener à bien leurs missions, suivant leurs ennemis, suivant le lieu à surveiller.
Nombre de seigneurs refusèrent de se soumettre. Leurs châteaux furent réduit en cendre. Nombre de hordes se révoltèrent. Elles furent massacrées sans pitié. Nombre de créatures cherchèrent à malveiller dans les tréfonds de leurs cavernes, elles furent traquées jusqu’aux dernières.
Leur réputation d’armures sans âme, d’êtres insensibles, fit que les gens commencèrent à se méfier des sentinelles. D’autant qu’elles en vinrent à occire sans raison véritable tous les magiciens. Rapidement, il n’y eut plus aucun arcaniste.
Des soulèvements débutèrent pour chasser ces épées d’outre-tombe. Là encore, la réponse des sentinelles fut sanglante et les villes qui le pouvaient érigèrent de hauts murs pour se protéger d’elles. Mais les habitants comprirent que cette paix retrouvée n’était que de façade : dehors, les sentinelles continuaient de se dresser, encerclant les cités, prêtes à rentrer à nouveau dans les villes pour y mener à bien leur mission.
Les prêtres des différents cultes, qui avaient accueilli avec déférence les sentinelles et qui avaient tenté de les aider dans leur œuvre pacificatrice, furent chassés, voire exécutés. Les temples furent brûlé, leurs idoles détruites et leurs biens spoliés.
Le commerce interrompu par la présence des sentinelles aux portes des villes, provoqua de grandes misères et de graves famines.
Pour recréer des voies commerciales, des animaux volants furent mis à contribution. Utiles pour le transport de petit matériel, d’objets artisanaux ou d’étoffes, ils permirent le retour aux échanges.
Pour les chargements lourds, des sages, financés par de grandes familles bourgeoises, mirent au point des dirigeables, des ballons gonflés d’air chaud que des mécanismes pouvaient diriger vers telle ou telle cité. Mais ils étaient chers, rares et incertains. On en parle maintenant comme d’une légende : « l’époque où les ballons survolaient les plaines ».
Puis le siècle suivant, le temps des sentinelles périclita. Elles commencèrent à s’immobiliser les unes après les autres. Mourraient-elles ? Était-ce la paix durable qui les rendait inutile ? Était-ce la magie des Dieux qui faiblissait ? Ou bien la faute d'un mauvais sortilège ? Reste qu’elles devenaient de moins en moins nombreuses.
Au départ, certains virent ces arrêts comme le signe d’un renouveau. Ils chantaient le retour du temps de la liberté. Mais d'autres, y voyaient le retour aux armes, aux vols, aux exactions, en un mot, à la sauvagerie.
Durant le dernier demi-siècle, un prédicateur fonda l’ordre des sentinelles, un groupe de moines dévoué à l'entretien et à la prévention de la disparition des sentinelles. Ils prirent en charge la poignée d’armures divines encore opérationnelle.
Pour mener à bien leur mission, l’ordre fut amené à déployer des monastères dans toutes les contrées, au départ pour étendre ses capacités de soins, puis, peu à peu, pour remplacer ces êtres de fer. Car face aux dangers d’un arrêt brusque de leur protection divine, des moines ont pris les armes pour les remplacer. L’ordre a déclarés ces renégats hors la foi.
La peur des sentinelles reste toujours prégnante. Et chaque soir, lorsque les enfants se couchent, nombre de parents chuchotent à leurs enfants que s’ils ne sont pas sages, les sentinelles reviendront les punir.
Malgré cela, les villes emmurées des temps anciens se sont rouvertes. Les fortifications ont perdu de leur superbe, des pans se sont effondrés, des portes ont percé les carapaces de pierres et les marchands s’y sont engouffrés. Ils ont repris la route. Tout d’abord de simples sentiers boueux qui, à force de courage et de détermination, sont en train d’être repavés. Les chariots et les voyageurs les empruntent quotidiennement.
Les richesses circulent à nouveau et font le bonheur et la fortune de familles de marchands. Fort du pouvoir que leur accorde leur or, ces familles cherchent à évincer du pouvoir l’ordre des sentinelles. Pour elles, le temps des moines est révolu. Le temps est maintenant au commerce, à l’échange, à l’ouverture.
L’ordre se méfie de ces ambitions, d’autant que le discours des marchands séduit de plus en plus. Les dons se réduisent, les coffres de l’ordre s’assèchent et les monastères les plus éloignés ont dû être abandonné faute de moyen. Le réseau de l’ordre, hier si complet, se réduit peu à peu. La situation commence à s’envenimer à tel point que des rumeurs laissent entendre que l’ordre ne vivra pas longtemps sans les subsides des marchands. En toute discrétion, des négociations auraient lieu.
Malgré ces difficultés, l’ordre des sentinelles demeurent encore l'unique pouvoir judiciaire.
Il impose encore sa loi : dans les terres qu’il contrôle, la magie est interdite. Toutefois, des rumeurs courent à propos de groupes qui enfreindraient l'interdiction. De même, détenir des armes nécessitent un permis de port d’armes. Ce permis est individuel et il peut être révoqué en cas de crime. Là encore, il circulerait des armes sous le manteau.
L’ordre s’appuie toujours sur les sentinelles pour protéger les faibles, prévenir les guerres et rendre la justice.
Mais leur nombre décroissant oblige les moines à trouver de nouvelles solutions. De plus en plus, les moines se tournent vers des groupes de séculiers, qu’ils forment pour remplacer les armes divines. Chaque groupe se trouve sous le patronage d’un Dieu. Ils sont au nombre de quatre : les Lames de Kaliel, des moines défroqués ayant pris les armes, les Yeux de Némaniah, des êtres dévoué au dieu de lumière, les Chiens de Béhémoth, pour ceux qui vouent un culte aux forces ténèbres et les Os de Moloch pour ceux qui vénèrent la mort.
Ces groupes mènent des enquêtes, inquiètent les criminels et fournissent les preuves aux moines, moines qui promulguent au bout du compte les condamnations.
Ces groupes sont constitués de différentes races : les Lames sont surtout humains ou nains, les Yeux recueillent davantage des elfes et des humains, les Chiens rassemblent des Gobelins, des orcs et d’autres créatures sauvages, les Os sont constitués de créatures maléfiques. Chacun protège ses concitoyens et cherchent à confondre les fautifs, par tous les moyens.
Il existe des terres non-contrôlées par l'ordre. Elles sont nombreuses, éloignées, à la périphérie du monde. On chuchote dans les monastères que l’ordre ambitionnerait d'y reprendre la main. Pour se faire, des moines missionnaires se prépareraient à la reconquête.