J’avais rendez-vous dans une boutique de fringues, un truc un peu bobo, où le prix est inversement proportionnel à la quantité de tissus. Je regardais les chemises imprimées, qui n’étaient pas sans me rappeler le papier peint de ma grand-mère, lorsque j’entendis cette voix reconnaissable entre mille :
– MA CHERIIIIIIIE !
Sans déconner.
– Patricia Cordoba, dis-je, vous êtes venue me vendre une voiture ?
– Rien à voir, on va s’occuper de ton look littéraire pour te donner un air fachione !
– Pourquoi moi ? Qu’es-ce que j’ai fait pour mériter ça ?
– Ma, tou as depuis trop longtemps laissé tomber les bras avec des t-shirts noirs. Laisse moi de faire découvrir les couleurs du Braaaaaaaaaasiiiiiiil !
– Le détective privé ?
– Comme tou es choux. Allez, suis moi !
<générique !>
<voix off>
Aujourd’hui dans notre émission un look de merde, un écrivain, nous recevons un cas désespéré. Ianian. Ce sont ces amis désespérant qui en parle le moins :
(incrustation d’un fauzami dont je note la traitresse participation), on l’appellera H : Son look a pas changé depuis le lycée. Je le sais, j’y étais pas. Vient ensuite X : J’ai longtemps cru que c’était Batman, puis un jour j’ai rencontré sa mère. Puis W : le look on s’en fout, l’apparence ne vaut l’important c’est l’être, pas le paraitre… COUPEZ ! (hurle un technicien que la dernière phrase vient d’horripiler au plus haut point).
</voix off>
</générique>
– Alors mon petit choux…
– Comme dans le Ken le survivant ? la coupé-je.
– Quoi ça ?
– Mon petit Shu.
– Connais pas.
– Je la fais tout de suite celle du Nanto de fourrure ou j’attends un peu ?
– Ma t’es fou dans ta tête de cheveux chauve toi, pas de manteau avec cette clavicule. Alors commençons. Est-ce que t’aimes les jeans slims ?
– En tant que grusclé, pas vraiment. Je t’avoue avoir un problème cuissal avec…
– Ok et tu as raison. Ecoutez messieurs les auteurs dou dimanche qui regardez, quand vous écrivez vous prenez du cou…
– Du cou ?
– Du cou d’en bas. Là, du cou. Et des couisses. C’est na-tou-rel : l’inaction provoque un amas grasseux qui fait enfler la morphologie en Y inversé. Dans ce cas, il vous faut des pantalons en ventre def.
– En patte d’eph tu veux dire ?
– En ventre d’Ef : évasez en haut, puis droit pour casser ces formes ronditudes.
– Ok, ok.
– Comme pantalon, je te propose :
– C’est quoi ?
– L’histoire d’un toueur qui arrête et qui part à la recherche de son ex et de sa fille. C’est chaleur, meurtre, pauvreté, drogue, le braaaaasiiiiil de la salsapareille.
– C’est pas un peu glauque ?
– Si mais n’oublie pas qu’on appelait le Brasil Belindia du temps de ton BAC. Aujourd’hui c’est toujours vrai. Mais pour un roman, on va pas faire rêver avec une histoire en H, le H, c’est pour les gens qui ont une morphologie typée. Toi tu es un Y inversé, il te faut ce type d’histoire.
– Ok.
– C’est écrit à la première calzone, c’est facile, oral, mais c’est dense, ça rend bien vivant le brasil de la Cité de Dieu.
– Du coup ça donne pas envie d’y aller…
– Tou as raison. Mais essaie le. Je parie que tu vas pas te reconnaitre !
Bon gré mal gré, je passe le romantalon et me mate dans le miroir. Elle n’a pas tord avec ces conneries d’alphabet morphologique, ce roman me va bien. Ni trop classe, ni trop trash. Urbain, mais pas trop. Simple et efficace. Tout moi quoi.
– J’aime bien, que je dis.
<gingle (la musique, pas la souris)>
<voix off>
Notre auteur au look de sdf vient de franchir un pas vers l’humanité des néohommes apprêtés. Cordoba va-t-elle réussir son coup avec la chemise ?
C’est ce que vous saurez après une page de publicité !
</voix off>
<pub>
– T’as vu le dernier youtubeur ?
– Cyprien ?
– Non.
– Norman ?
– Mais non, le nouveau : Kylke. Il chronique avec de véritables fruits dedans.
– De véritables fruits ?
– Et oui, découvre le, tu n’en reviendras pas !
</pub>
<gingle>
– Pour le haut je te propose quelque chose de plus déstructuré. Attention, je sais que tou va ouvrir les yeux gros comme des castors juniors hein, mais je crois que c’est fait pour toi !
– Ta positivatitude me convainc comme une ségolène en furie. Fait péter cette chemise déstructurée !
– Alors voilà, c’est un tissus moléculaire dégradable recyclé fait avec des tritus de la poubelle pour aller danser.
– Ok, ok.
– La voici :
– C’est étrange. Le sang et le sourire…
– C’est tout le monde des esprits du braaaaaassssiiiiiil ! On rigole et on meurt mais en sourire. T’as pas écouté la chanson que la misère elle est moins triste dans le soleil ?
– Dedans oui c’est sur…
– Bref, alors ma chérie, qu’est-ce que t’en dis ?
– C’est pas mal. Différent du romantalon, mais pas mal. Tous ces personnages qui composent une sorte de mosaïque, c’est pas facile à suivre, mais c’est incroyable de voir comment tous ces gars s’organisent, se répondent, préparent le coup, se trahissent, se soutiennent, c’est fou.
– Et les illustrations !
– Oui les imprimés sont sympa. Un joli plus de l’éditeur.
– Alors finalement ?
– Ecoute, c’est la première fois que je m’habille en roman brésilien, et franchement c’est pas mal. Ca change vraiment de ce que je lis habituellement : c’est violent, sombre, touchant aussi. Ca laisse un arrière goût de jeunesse gâchée aussi. On se dit, le long de toutes ces pages, tous ces gamins si malins, plein de vie, comment peuvent-ils en arriver à se flinguer pour de telles âneries ?
– Voilà, c’est pour ça qu’on fait la fête ! Pour sortir la tête des épaules !
– Je comprends.
– Allez, ma mission est terminée. Bisous !
<gingle>
<voix off>
Voilà, un écrivain de plus relooké façon cordoba. Merci Patricia, à la prochaine fois !
</voix off>
<générique>