Répondre aux questions d’une thésarde a deux avantages :
– on fait avancer la recherche, et quelque part, c’est bien,
– on prend du recul par rapport à son propre travail, ce qui est bien aussi.
Comme j’aime me faire du bien, et le bien en général, mais pas du bien à un général, j’ai répondu avec joie à ces quelques questions, avouant au passage deux, trois trucs.
La thèse portant sur l’image du loup dans les littératures de l’imaginaire, je souhaite à Elodie bon courage et une super note 🙂
Pourquoi une histoire avec le loup ?
En vérité tout part d’un film. Wolfman. En le regardant une chose m’a frappé : dans ce type de film le loup garou est toujours seul. Il s’agit bien souvent d’un être humain, attaqué par un loup isolé, qui devient lui-même un « contaminé ». Tout aussi isolé. De là, il se transforme, lutte contre ses pulsions et finit par attaquer, ou pas, ses semblables. La solitude est omniprésente. Il s’agit d’un face à face interne : l’homme affronte la sauvagerie.
Pourtant, quand on pense « loup », on pense « meute ».
Je me suis demandé pourquoi, finalement, peu de travail avait été fait par rapport au groupe. La première piste vient de ce que j’ai évoqué plus haut : comme il s’agit d’un affrontement interne, ou finalement le loup représente ce qu’il y a de sauvage en nous, il ne peut y avoir de groupe. Il s’agit d’intime.
Par ailleurs, comme le loup incarne la sauvagerie, le travailler en questionnant la meute, revient à lui donner une dimension sociale. Cette dimension l’humanise. Dès lors, il devient difficile de poser un affrontement homme/loup, civilisé(ou éduqué)/ sauvage.
Dans cette opposition, le loup garou est un pont. Il fait le lien entre l’humain et le sauvage. D’où sa physionomie. Il est intelligent et sauvage.
T’es-tu documenté sur le loup avant d’écrire ta nouvelle ?
J’ai cherché tout d’abord à remonter le mythe du loup garou. En le remontant, j’en suis arrivé aux relations hommes – loups. Une relation pleine de défiance, de peur, avec des histoires sanglantes, des enfants dévorés etc. Je parle là du moyen âge et des siècles suivants. Ce qui est drôle c’est que ça n’a pas toujours été le cas : tout le monde se souvient de la légende de Romulus et Rémus. Entre ces deux visions, il y a eu une évolution, mais je n’ai pas vu où, ni quand, ni comment. Je t’avoue qu’ayant trouvé les composantes nécessaires pour mon histoire, je n’ai pas creusé plus : j’étais convaincu qu’il fallait retourner ses préjugés pour que ça fonctionne.
Et pour les retourner, il me fallait humaniser mes loups.
Et pour les humaniser, il m’a fallu me renseigner sur leur organisation sociale.
Là encore, je suis resté très en surface : organisation de la meute, mâle alpha, femelle, qui fait des louveteaux etc
Cherchais-tu le réalisme dans ta description du loup ?
Pas du tout. D’où mes faibles recherches (honte sur moi). J’ai cherché à saisir la dynamique de meute, la manière dont pourrait se comporter entre eux les membres de la Brigade, mais c’est tout. Après, je me suis attaché à inverser le regard : je voulais des loups humains pour mettre en lumière la sauvagerie des hommes.
Il me fallait donc humaniser au maximum chaque membre de la Brigade, le mettre en difficulté face à la société, pour qu’au final on se dise « mais ouais, en fait ces loups valent mieux que ces gars ».
J’en ai profité d’ailleurs pour insérer des points de vues différents :
– Mikaï qui est un loup pouvant se transformer en humain, l’inversion la plus franche,
– Pavel et son loup calme, alors qu’il est un humain sur-excité.
Ce jeu sur les stéréotypes m’a permis de construire des personnages différents, touchants, en conflit avec eux-même, et avec les hommes.
J’avoue aussi avoir glissé un clin d’oeil entre la chasse aux loups systématique que j’entends lors de reportage, point de vue de moins en moins défendu d’ailleurs (en tout cas publiquement).
Tout ces ambitions m’ont donc fait « construire » des loups finalement loin de la réalité.
Avais-tu des symboliques que tu souhaitais exploiter via le loup ?
J’en ai parlé tout au long de mes réponses. J’ai cherché l’inversion du regard et l’humanisation. L’un des aspects me permettant de le mettre en scène a été la maladie. Finalement, ce ne sont pas des hommes comme les autres (ou des loups), mais des malades. Or, un malade est quelqu’un par définition de fragile. Dans l’imaginaire en tous cas. De base, il provoque la compassion, contrairement au loup.
As-tu un but caché de sensibilisation au loup, ou tes choix sont-ils purement narratifs ?
Le loup en tant qu’être rejeté parce qu’il fait peur, parce qu’il est dangereux, parce qu’il est différent, on pourrait presque dire, peut incarner n’importe quelle minorité. En tant que minorité, il faut bien sûr le défendre. Mais la mise en scène dans cette série était d’abord de parler de l’homme, en parlant du loup. Le loup n’est qu’un masque.
Par contre, en l’humanisant à longueur de page, j’aime croire que les mentalités pourraient évoluer pour revenir vers une réhabilitation. Mais le réhabiliter pourrait sonner le glas des loups garous (le lycanthrope n’existe que parce que le loup est considéré comme un monstre). Or l’humanité a besoin de monstre.
(même si ces dernières années ils perdent leur caractère effrayant comme dans Twilight par exemple)