Demain c’est loin

J’ai lu ça : http://page42.org/doit-on-laisser-crever-la-litterature/ qui reprend beaucoup d’interrogations/affirmations/prédictions (rayer la mention inutile) ces derniers temps.
J’aime bien Neil, il a tendance à mettre le doigt où ça mal.
Je hais Neil, il a tendance à mettre le doigt où ça fait mal.
En lisant ses articles, j’ai toujours eu envie de lui répondre parce que… parce que. Mais, n’ayant pas un emploi du temps à rallonge, souvent, je m’abstiens. Pas cette fois. T’as voulu clasher sévère, tu penses fritter de l’écrivain, massacrer de la littérature, han han, hin hin, après une petite révision de mes classiques (L’Underground s’exprime chapitre 1,2,3, etc), je reprends le Mike (non pas Michael Roch), et t’assassine avec mes Nikes ! (ouais, c’est honteux, mais je m’échauffe… )

Demain c’est loin (autre titre clin d’oeil – cacededi à @stephanegallay)

– Papa, ta lu le dernié Levy ?
Mon fils, trente cinq ans. Il se pense drôle en remuant le couteau dans le lapin, alors qu’en fait, il appartient à cette génération d’illettrés qui dirige le monde.
– Plutôt crever.
– Allon, papounet, cé un auteur de ta génération.
– Ça va pas non. Ce gus écrivait bien avant que j’entame ma propre carrière. Et puis, ce qu’il faisait, c’était pas vraiment écrire… C’était plus du cinéma littéraire.
– Hein ?
– Ouais, un manuscrit vite écrit, sans style, sans matière, sans même vrai profondeur quoi.
– Tu di sa parce que tes jalou de sa carrière, et pi cé tou.
– Pas vraiment non.
– Allé, je te lesse son dernié feelBook. Tu verras, il est tro for !
Ce petit merdeux pose sur la table de chevet un de ces serre-têtes qu’il ose appeler livre. Un livre. C’te connerie. Je me rappelle de la grande époque, où l’on se battait pour savoir si un eBook était un livre ou pas, si un roman était un livre ou une histoire, si une histoire existait, invariable, inchangée, malgré son support. Des questions de vieux cons quoi.
Parce qu’au final, nous nous sommes tous plantés.
Le livre lui même n’était qu’une forme abâtardie de narration. Et la narration elle-même était une forme abâtardie de communication. Seulement ça, tous ces excités du net, ces fanatiques des 0 et des 1, incapables de penser en cinq dimensions, ils ne l’ont pas pigé. Du moins, ils l’ont pigé trop tard.
Qu’importe, je laisse son cadeau merdique et tire vers moi le respirateur. La machine pousse l’air dans mes poumons, puis le retire, pour me maintenir en vie, à sa manière, avec ses va-et-vients mécaniques, sa violence, ses viols répétés.
Je m’extirpe du lit médicalisé pour rejoindre le salon. Un petit salon rempli d’appareils inutilisables, dépassés, bons pour la casse, des métaphores de ce que je suis devenu en quelque sorte. J’allume la télé. C’est l’heure des clips. Enfin, des « nouveaux clips ». Des séquences d’images muettes, censées engendrer des sensations chez les spectateurs, des sentiments, comparables à ce que pouvait insuffler la musique. Influencer directement le cerveau. Se passer des sens. Ne plus sentir, que ressentir. Qu’il est beau ce nouveau monde…
Je pense souvent à ces tribus anciennes, qui inventèrent le langage pour se raconter des évènements, des histoires, pour se forger une culture et donc une identité. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Si elles voyaient combien l’écriture avait remplacé leur voix et les livres leur mémoire, puis, comment les livres s’étaient au fil des siècles scindés entre ceux qui racontaient des histoires et ceux qui racontaient le temps présent, ou qui ne racontaient du rien, juste pour la beauté du langage, que penseraient-elles de ma bibliothèque ? Comment jugeraient-elles ces récits imaginaires, n’appartenant à aucune tribu, mais appartenant à toutes ? Et ces livres sans histoire, incarnant notre Histoire ?
Sans doute feraient-elle comme les gamins d’aujourd’hui, elles regarderaient tout ça avec un oeil curieux, ne comprenant pas leur subtilité, leur objectif, leur intérêt.
Parce qu’aujourd’hui, tout ce qui importe à ces petits cons, ce sont les sentiments. Les feelings comme ils disent. Et pour promouvoir ces feelings, ils ont tout détruit.
Les livres tout d’abord. Ils ont renoncé à la lecture. Trop long, trop dur, physiquement et intellectuellement.
Le cinéma ensuite. Trop long aussi. Rester une heure et demi, deux heures, assis devant un média leur semblait incroyablement stupide. Une perte de temps encore.
Les jeux vidéos. Pour les mêmes raisons.
Les scénarios. Parce qu’au final, ils se foutent des histoires, des personnages, des rebondissements, du climax et tout ce que j’ai passé ma vie à apprendre.
Ils vont à l’essentiel.
Aux feelings.
Ils se foutent sur la tronche des serre-têtes ridicules, ils savourent les différents sentiments enregistrés, dans un ordre de séquence qu’ils appellent « livre ».
Ah elle est belle la littérature du nouveau millénaire.
Ah elle est prometteuse cette jeunesse illettrée. Shootée aux sentiments. Dépendante aux grands huit émotionnel. Incapable de se concentrer plus de deux secondes.
Dire qu’hier on pleurait la fin de la littérature quand les jeunes ne s’intéressaient plus à la lecture…
Aujourd’hui je pleure qu’ils s’y soient intéressés à nouveau, pour en faire ça.

Évangile selon saint ianian

Bon, c’est pas l’article du siècle. Trop court, trop concentré, trop vite balancé pour être vraiment intelligent.
Est-ce que la littérature mourra ?
Possible.
Encore que, c’est quoi la littérature ? Et qu’est-ce qui différencie un livre « littéraire » d’un livre « divertissant » ?
Parce que si la littérature meure, le livre divertissant meure aussi ? Ou lui survit-il ?
Et la littérature, survivra-t-elle comme forme de narration élitiste ?
Probable. Mais parle-t-on des romans de style ? D’histoire de genre ? D’auto-fiction ? Autres ?

Reste que le besoin de raconter des histoires survivra. Il épousera de nouvelles formes, et on appellera « auteur » les producteurs de ces nouvelles formes de narration. Nous, auteurs d’aujourd’hui, disparaitrons comme ont disparu les conteurs (bon, il en restera quelques uns, mais vraiment, ils vont en chier pour pas grand chose, et surtout, ils auront des looks anachroniques, les enfants leur jetteront des cailloux et les chiens leur urineront dessus, la classe quoi). Et à travers ces nouvelles formes, la passation d’une culture commune, de valeurs communes, d’apprentissage commun (un livre c’est quand même souvent une quête initiatique), restera bien vivant.

Allez, bisous les fous.
Flippez pas trop : demain c’est loin.

2 réflexions sur « Demain c’est loin »

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