Notre date de péremption

Hier soir, j’ai regardé la vidéo de Philippe Maurin (Mr Phal) qui se confie sur son retour au FIJ. Ça se passe par là :
https://youtu.be/q98OEpl6tTg?si=rJD4MC8cYtA4T1Al

C’est un peu décousu, c’est dense, mais un point a retenu particulièrement mon attention : l’interrogation sur notre âge, notre capacité à poursuivre ou à innover, notre relation avec les jeunes générations, en un mot, notre date de péremption.

Depuis que j’ai commencé à écrire, et surtout depuis mon retour (pour rappel, j’ai eu une pause d’un peu plus de 5 ans), je m’interroge sur la durée de vie de ma « carrière littéraire » : est-ce qu’à un moment, je deviendrai has been ? Est-ce que mes histoires seront dépassées ? Ridicules ? Est-ce qu’on me regardera comme un vieux monsieur – ce que je suis en train de devenir – sans oser me dire : « hey papi, faut rentrer, c’est l’heure de ton café ! ».

En sous-texte, je m’interroge sur la durée de vie de cette fameuse carrière et sur mon état intellectuel. Les deux étant intimement liés.

Mon cerveau me permet de construire des histoires, ces histoires une fois couchées sur des pages virtuelles deviennent des livres, qui vous parviennent.
Mais mon cerveau est ce qu’il est : il a été biberonné par les premiers mangas (Akira, Ghost in the Shell, Cyber city, Demon city, etc), il a été forgé par King, par des blockbusters américains, il a ensuite évolué avec la naissance de l’informatique, la découverte des jeux de rôle, puis il a été percuté par les épreuves de la vie de telle sorte qu’au final, mon cerveau est daté. Il s’inscrit dans une vie, dans une époque, bien délimitée.
Les histoires qu’il élabore reposent donc sur tout ça.

Tous ses échafaudages sont datés. Les histoires qu’il produit le sont donc forcément aussi. Est-ce que c’est grave ? Peut-être. Peut-être pas.

Vous me direz : suffit de sortir du cadre pour en trouver d’autres, mais est-ce qu’on peut s’extraire de soi-même à ce point ? Est-ce qu’on peut faire comme si on était né 30 ans plus tard ? Est-ce qu’on arriverait à faire croire qu’on maitrise les refs, la manière de penser, l’univers mental d’une personne radicalement plus jeune ?

Est-ce que c’est pas ça, d’ailleurs, écrire ?

S’immerger dans un personnage qui nous est extérieur et de raconter son histoire de manière convaincante ? Un Spationaute qui traverse un trou noir, un flic cybernétique qui lutte contre des dealers de drogue virtuelle ou un handicapé aux pouvoirs de médium qui résout des affaires sont autant d’êtres qui de prime abord me sont très différents. Mais le sont-ils vraiment ?

Je ne crois pas. Chaque univers que je conçois repose sur mes interrogations, sur mes colères ou mes traumatismes. Chaque personnage incarne une partie de moi. Chaque aventure découle du caractère de ce personnage tant et si bien que ce que j’écris, est aussi vieux que moi. Affirmer le contraire serait mentir.

Alors quoi ? Je suis condamné à finir périmer ?

Peut-être pas.
Ce qui est intéressant dans les histoires qu’on raconte n’est pas forcément la singularité. On recherche souvent les invariants. S’indigner d’une politique, lutter contre celle-ci ou contre une injustice, résister à la maladie, faire face au deuil, affronter nos démons, tous ces thèmes se retrouvent dans des millions d’histoires et pourtant, elles nous touchent encore. Parce qu’on y est tous confronté.

C’est peut-être ça écrire : atteindre ces invariants à travers une mise en scène. Alors peut-être que la mise en scène sera has been (« oh les cons, ils ont pas de téléphone portable ») ou dépassée sur certains points, mais si on arrive à atteindre ces questions, peut-être qu’on peut survivre à sa propre date de péremption. Peut-être même qu’on peut survire à sa propre mort.

Et c’est peut-être ça aussi l’espoir ou l’ambition de tout être humain. Laisser une trace suffisamment forte pour survivre à sa propre finitude. Pour un parent, ce sera son enfant, pour un auteur, ce sera un bouquin.

Allez, j’arrête là. C’est suffisamment long et décousu pour décourager n’importe quel lecteur/lectrice.

Je reprends le boulot parce que j’ai des livres à finir. Avant d’être périmé 🙂

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2 réflexions sur « Notre date de péremption »

  1. Je dois avouer que c’est une question que je ne pose pas – ou rarement. En même temps, je suis le genre de gars qui écoutait du rock progressif à l’époque où c’était déjà ringard et qui fait de la SF comme le XXIe siècle n’avais jamais eu lieu.

    Perso, j’écris des choses que j’ai envie d’écrire – et c’est déjà assez difficile comme ça. Mais c’est vrai que j’ai aussi assez peu de pression « professionnelle » à écrire. Ça doit aussi pas mal jouer.

    1. Je suis plutôt d’accord : quand je chronique de temps en temps du métal sur Hexalive, c’est sans pression. Au contraire, j’ai l’impression d’être une petite voix – peut-être utile – pour faire connaître un groupe. Que ce soit lu par 2, 500 ou 200 000 personnes ne change rien. Ce n’est que du plaisir.
      Pour un roman par contre, en vendre 2, 500 ou 200 000, ça change un peu les choses 🙂

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