Réapprendre à se taire

Alors que les corrections de mon prochain roman viennent de se terminer, je me détends devant quelques réseaux sociaux et je lis. J’écoute. Je suis. Des avis de droite. Des avis de gauche. Des fights virtuels à grands coups de slogan, d’invectives, de bons mots. Une baston générale 2.0 où tout le monde affirme et peu échange.

Le truc qui m’inquiète c’est que cette propension à « troller » pour nous faire « réagir » est un outil à la fois de construction communautaire (on se rassemble autour d’idées simples, on rejoint un camp pour affronter celui des autres), d’opposition conflictuelle (tu parles comme un seigneur sith !) mais aussi de simplification (d’abêtissement ?) généralisée (Puisque je te dis que c’est pas blanc, c’est noir !).

Les questions sont pourtant complexes. Elles nécessitent une réflexion, une connaissance, du temps. Mais en face, on balance un avis. Une vanne. Et pi fé tout. Un autre internaute débarque, contredit avec un contreavis et pi ça contrecontreavis et voilà la bagarre qui démarre.

Inutile d’argumenter, les anti-vous se rassemble, attaque en masse et vous avez encore plus tord. J’ai vu des gens super sympa se faire chier dans les bottes gratuitement. Des articles de presse se faire démonter. Des scientifiques être attaqués. Alors que ça aurait pu faire une belle soirée dans un pub. Y a des gens qui prennent encore le temps de refaire le monde avec un verre à la main ? Je veux dire, en dehors des dictateurs…

Pour les plateformes, c’est tout bénef. De la rixe, de l’attention, des contrats pub.
Même les réseaux plus safe comme Mastodon ne sont pas à l’abri : après quoi, deux décennies de réseaux sociaux, nos comportements ont été profondément modifiés.

Que faire ?

Pour ma part, je ne réponds plus. Je ne réagis plus. J’évite de commenter. C’est très difficile de lutter contre son indignation et son envie d’en découdre, mais je prends le parti de me taire. Je laisse les rageux rager.

Il m’arrive de pondre un statut ou un article, mais je n’irai pas plus loin.

Au fond, je me demande même si on ne gagnerait pas avoir l’option « couper les commentaires » sur les réseaux. On éviterait de se tarter des kilomètres d’idioties haineuses…

Mais… et la suite ?

Se taire n’est jamais satisfaisant : c’est d’ailleurs ce que cherchent les extrêmes. Ils veulent faire taire les modérés. Pour qu’on entende qu’eux. Eux et leur haine qui tombent tantôt sur l’étranger, le pauvre, le faible, le différent, toujours bouc émissaire. Stratégie facile du « C’pas ma faute ! C’est eux les coupables ! ». Alors qu’au fond, ba bof. C’est pas eux qui t’ont rendu haineux :

Et donc ?

Je pense que lutter contre cette tendance et ces vagues ne doit se faire que sur un temps plus long, grâce à des média adaptés, favorisant justement le temps de la réflexion. Un article, un livre, un podcast, tout endroit où l’intelligence et l’argumentation ont le temps de se développer, où la nuance a l’espace de se déployer.

En tant qu’auteur, je vais continuer à suivre ces réseaux pour tenter d’en deviner la trajectoire. Va-t-on finir avec des casques VR qui effaceront les gens qui ne pensent pas comme nous (en les grimant par exemple : j’évite un lampadaire dans la rue mais en fait, c’est un mec de droite !)? La division de la société aura-t-elle raison de la démocratie ? Va-t-on reconstruire des pays autour d’idéologies qui ne s’appuieront plus sur la géographie (on voit bien un fascisme international et impérial se construire sous nos yeux) ? Ou va-t-on ériger des safes places pour les modérés ? Des villes sous dôme dans lesquelles les scientifiques se réfugieront alors qu’autour, les rageux seront revenus à l’âge de pierre ?

J’en sais rien.
Mais une chose est sûre, je réapprends à me taire.

Soutenez Lilian Peschet – Brigadier de la SFF sur Tipeee

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