6 heures non stop – Michael Roch

— Je m’appelle Colson Whitehead et je suis un auteur.
— Bonjour Colson, dit l’assemblée.
— Voilà, j’ai toujours aimé écrire, et puis à un moment, sans trop savoir pourquoi, je me suis lancé dans une histoire de zombies…
— Woooo, reprend en coeur toute l’assemblée.
— Merci Colson.
Je pose ma main sur son épaule.
— Une histoire de zombies, reprends-je pour les autres, c’est un appel au secours. Pas encore une tentative de suicide, comme le serait une comédie romantique avec des vampires, mais quand même, c’est suffisamment inquiétant pour déclencher une prise en charge. Aussi, je vous demande d’accueillir chaleureusement Colson. Applaudissons le pour sa présence ce soir.
Les autres auteurs applaudissent.
Je souris. Depuis que j’ai accepté ce boulot d’auteur-thérapeute, c’est la première fois que ça se passe aussi bien. Et je me surprends à croire que oui, je peux vraiment les aider.
La séance dure une heure. Je salue tout le monde, insistant bien avec Colson, histoire de le mettre en confiance, histoire qu’il revienne.
— Une histoire de zombies…
— Je sais docteur ianian.
— Appelle-moi ianian tout court.
— Je sais ianian tout court. Plus jamais, jure-t-il en éclatant en sanglots.
Je tends les bras, près à le câliner autant qu’il le faut, car, hein ? Oui, le câliner. Non, mais attend, avant d’aller plus loin, retiens bien, mauvais lecteur que :
— l’écriture abime,
— l’auteur est un dépressif en manque d’amour et de reconnaissance qui se torture pour exister,
(ici on voit poindre le problème entre un écorché vif et le supplice qu’il s’est choisi)
— son œuvre est la convergence d’une destinée broyée avec une torture horrible qui rendrait fou même le docteur Mad.
Donc oui, il ne faut pas hésiter à câliner un auteur.
Je m’apprête donc à le pécho des deux bras lorsque d’un coup, mon téléphone vibre.
Bullet time.
Tandis qu’il se penche pour retomber dépressivement dans mes bras, je tire de ma poche mon smartphone et découvre le pop up : « Nouveau message de Michael ».
Je l’ouvre.
« J’ai rechuté. Marion-nous. Avignon. »
D’un pas sur la droite, j’évite Colson qui tombe toujours en mode bullet time et lui claque la bise rapidos.
— Désolé Colson, une urgence.
Avant qu’il n’ajoute quoi que ce soit, je saute sur ma bécane, direction le Sud.

Google fu : Le Marion-Nous n’est pas une proposition pour tous. C’est un bar à vin culturel.
http://www.lesbonsplansdavignon.com/bon-plan-a-avignon-le-26-avril-2014-a-19h30-vernissage-dune-expo-de-alice-quoirin-chez-marion-nous-un-nouveau-bar-a-vin-avignonnais
Jusque là, on est loin de la complexité des mystères de Pékin.

84 rue de la Bonneterie.
Michael Roch est bien là. Assis sur un tonneau, les larmes aux yeux, le verre plein d’alcool, les doigts ensanglantés sur son clavier.

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Effectivement, il a rechuté.

—> Ici commence l’itw <—

Michael, comment t’es-tu retrouvé là ? Et qu’est-ce que tu y fais exactement ?

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C’est Sonia Prevost, directrice de l’Association « Les P’tites Frappes » qui m’a contacté pour participer à ce festival d’écriture : « La nuit, j’écris », premier festival du genre créé en partenariat avec le site ActuaLitté et le Carrefour des Asso à Paris. Elle m’a pas dit tout de suite en quoi ça consistait. Elle me parlait d’insertion, de démocratisation de l’écriture auprès de tous les publics, mais surtout les jeunes, de spectacle vivant et d’évènements inédits. Ça avait l’air beau. J’ai dit oui. J’aurais pas dû…

Tu vas y rester longtemps ?

J’en ai pour 6h non stop ! Ça tombe bien, c’est le nom de la performance à laquelle je participe : écrire un texte sans filet de secours durant six heures. J’y suis depuis 16h, jusqu’à 23h.

C’est quoi ce pc, ce truc sur la droite ? T’es filmé ?

Le pc est ultraconnecté : une webcam envoie chaque mouvement de mon casque capillaire sur un grand écran à Paris pour des duplex réguliers avec le public et l’arbitre de la performance. Et puis, là, c’est un rétroprojecteur qui catapulte chacun des mots que j’écris sur le mur d’en face, dans la rue. Le texte est visible en temps réel sur le net et, pareil, à Paris.

Et Jeff, heu Michael, t’es pas tout seul ?

Est-ce que tu viens de me comparer à Balek ? Je suis noir, mec. Jeff est aussi blanc que… que mon… bref.
Je ne suis pas tout seul, non. Deux autres auteurs, Florian Lafani et Gautier Renault écrivent un texte en 6h. Mais eux sont à Paris. Et ils sont deux. Ils écrivent ensemble. Des tricheurs.

À Paris, il y a aussi d’autres ateliers pour ce festival : des matchs d’impro, pour auteurs confirmés ou talents en herbes, des petites masterclasses participatives, un débat-conférence. Et autant d’auteurs pour les animer, comme Laurent Scalese, de la Ligue de l’Imaginaire, Marie Caillet, étoile montante, Eli Anderson, le parrain du festival, et j’en oublie…

Le barman me dit que t’écris sous la contrainte ? C’est quoi cette histoire ? T’es dans le Writing SM maintenant ?

Ouais. Non. Enfin, c’est pas tout à fait ça. Le public du Festival a la possibilité de proposer des contraintes qui sont sélectionnées par un individu non identifié, mais neutre. Toutes les 1h30, une contrainte m’est imposée. Je dois la respecter pour construire mon texte autour. La première était la première phrase de l’incipit : «Souvent, il fait le même rêve ». Pour la deuxième, j’étais obligé d’introduire des assonances en « ou » dans mon texte. L’horreur absolue de tout auteur qui se respecte. Ensuite, il y a eu une péripétie : « Orage sur la ville, il pleut pendant 100 jours » et la dernière contrainte était de placer la réplique suivante : « Ah ! Si seulement j’avais pensé à prendre mon nœud papillon. »

C’était quoi pour toi écrire en live ? 

C’était une petite appréhension. D’abord parce qu’un texte nécessite toujours une relecture et un remodelage. De deux, parce que sans filet, pas de plan construit préalablement ; je ne savais pas du tout où j’irai : tout dépendrait de la première contrainte. De trois, c’est aussi afficher au grand jour ses petits défauts : les fautes d’inattention, d’orthographe ou de grammaire qu’on ne peut se permettre de laisser filer, car des gens nous lisent en simultané. Question de respect, tu vois ?

Et après cette Xpérience, tu trouves ça comment ?

Grandement divertissant ! En fait, je pensais que cela demanderait plus d’endurance. Au bout de 4h d’écriture, on ressent une certaine fatigue mentale. Mais là, vu que ce n’est pas toi qui fournis les idées, ça te libère quelques neurones en plus.

Écrire c’est autant imaginer, que corriger, que réécrire, autant de moments inregardables. T’as pas honte de t’exhiber de la sorte ?

C’est vrai qu’il y a une certaine gêne. Imaginez les remarques : « Oh ! Il a oublié l’accent circonflexe sur ‘disparait’ ! » [ndla : avec la nouvelle orthographe, on peut le sucrer]. Une honte, non. Le public sait qu’on écrit sans filer. Et ça fait aussi partie de la découverte : les auteurs ne sont pas des experts de la langue française. Ils la connaissent un peu mieux, mais ils se trompent aussi souvent. Comme tout le monde. Les auteurs sont avant tout des machines à idées.

Revenons à l’histoire, qu’est-ce que tu racontes en deux mots ?

Je me suis permis d’utiliser un personnage que je construis au fil de plusieurs nouvelles : l’inspecteur André Despérine, que mes lecteurs ont déjà pu découvrir dans La Boîte de Schrödinger – Exp.1, chez Walrus. C’est donc une de ses aventures que je développe là : André Despérine se rend en Égypte à la recherche de son ancien supérieur hiérarchique, que tout le monde croyait mort.

Tu as préparé quelque chose avant de venir, ou t’es dans l’impro la plus totale ?

Tu m’écoutes quand je te parle ? Impro la plus totale. No plan. No idée. No filet. Pas de poisson. Pas de lapin.

C’est facile d’écrire le web entier ? La NSA ? Et Nicolas Sarkozy ?

Ça demande un peu de temps. Je prends sur mes projets perso, du coup. Mais quand on veut, on peut. C’est à la portée de tous. (sous réserve d’avoir un peu de talent).

Le texte est court : 16 000 caractères espace compris. Écrire c’est long non ?

Ça va dépendre de chacun. Je sais que certains sont de vraies roquettes : Neil Jomunsi, par exemple, 5000 signes par heure en vitesse de pointe. J’en fais le même nombre en deux heures.

Il y a des auteurs qui vont écrire très vite pour finir leur premier jet, mais qui vont passer beaucoup de temps à retravailler et cumuler les versions intermédiaires, jusqu’à celle définitive. Je préfère prendre un peu plus le temps de construire directement mon premier jet, en faisant attention à respecter les leçons tirées de mes erreurs passées pour ne pas les reproduire, et passer moins de temps à la correction. Mes premiers jets sont souvent très proches des versions définitives. Dans mes séances de remodelage, j’ai tout le loisir, du coup, pour perfectionner le style, et balancer des textes qui claquent leur race en V2 ou 3.

Malgré tout, il y a une intro, une conclusion, une histoire. Chapeau. À ce propos, t’as une manière particulière de bosser ? Et écrire pour cette rechute t’allait bien ou t’a obligé à t’adapter ?

J’ai eu la chance de croiser Alfred Boudry, plus jeune. J’ai participé à deux ateliers d’écriture avec lui (il en est le roi), sur un an pour le premier – le second ayant duré 3 ans. Avec La Nomédie, puis Les Vicariants, j’ai ainsi pu apprendre à débloquer mon imaginaire, et écrire comme je pisse. Libérer les vannes. Et ne rien foutre sur la cuvette. Tout droit au fond, tu vois ?

Donc je pisse. Pour les nouvelles, j’ai souvent la fin et l’évènement perturbateur en tête. C’est le cas pour Despérine, par exemple. Je me jette souvent sans filet dans leur rédaction. Et ça marche plutôt bien. C’est pour ça que la performance de La nuit, j’écris ne me faisait pas si peur : je savais qu’en six heures, j’avais le temps d’écrire une nouvelle.

J’ai tout de même emporté avec moi un petit carnet sur lequel j’ai posé quelques idées de développement au fur et à mesure de mon écriture. Des détails surtout, que j’utilise au début de l’histoire, pour les ressortir plus loin dans le texte et leur donner une importance. Les détails bien exploités donnent au texte une autre dimension, au final.

Pour des formats plus longs, j’utilise toujours un plan détaillé, scène par scène. Qui s’y trouve, que fait-il, quelle émotion, quel message faire passer. Et je me limite à mon plan pour ne pas partir dans tous les sens lors de la rédaction. Il y a toujours de nouvelles idées parasites qui apparaissent quand on passe à cette étape.

Quand tu parles de Despérine, avoue, c’est un appel à l’aide pour un Efferalgan !

Non, au contraire ! Despérine est un personnage léger et pas prise de tête. Il est coincé dans une petite ville où se déroulent des phénomènes surnaturels, mais auxquels il ne comprend rien. Comme il n’y comprend rien, il n’y croit pas. Et il profite des événements pour les tourner en sa faveur et construire sa carrière d’inspecteur.

Est-ce que ce type de challenge c’est pour toi de l’écriture ? Est-ce que ça entre dans ta conception de ce que c’est qu’être un écrivain (ouais la question est moche, mais là j’écris pas, je blogue :)) ?

Évidemment. L’écriture est toujours un challenge. C’est en écrivant qu’on devient écrivain. C’est donc un défi de tous les jours de se mettre devant sa feuille blanche et de la noircir. Deux heures au moins pour moi, quand je travaillais à côté. Quatre heures, maintenant que j’y suis à temps plein. Le reste de la journée, c’est correction, remodelage, ou bière avec des amis (Grim’ blanche, de préférence. Ou rouge, parfois). J’aime bien aussi la Maredsous. Ou une pisseuse avec un peu de pac au fond. Le pac, c’est un sirop au citron du sud de la France. C’est frais.

Neil parle de lecture publique, on a le château Balzac qui pointe son nez, on ne sait plus ce qui doit être mis en avant, l’auteur ou ses textes. Pour toi ? 

Les deux. On garde toujours une vision noble de la littérature, avec tous ces grands noms qui l’ont écrite. Si leurs noms sont restés, ces auteurs-là sont morts. Et la littérature n’est pas un art immuable.

On ne peut malheureusement plus rencontrer Vian, Giono, Hugo, Verne, Lovecraft, Poe, etc. Mais on peut côtoyer ceux qui font la littérature aujourd’hui. Notamment grâce à l’avènement de l’internet, ce média de communication direct, nous pouvons en profiter pour discuter, interroger, féliciter les auteurs vivants. J’aurai aimé parler d’Ennui avec Jean Giono, des Voyages avec Verne, de la Peur avec Lovecraft. Je pense ne pas être le seul.
Aujourd’hui, quand un texte nous plait, on ne devrait pas être gêné de contacter l’auteur pour lui dire : « Hé, ça m’a plu ! Merci ! », ou encore « J’ai adoré ta vision du futur, il y a plusieurs idées qui découlent de ton texte, qu’en penses-tu ? ». Et en discuter.

De même, un auteur ne devrait pas hésiter à aller la rencontre de son lectorat. C’est tellement plus épanouissant.

Ce qui est important, c’est autant l’émotion que procure un texte que le partage de cette émotion avec l’auteur ou avec le lecteur.

Au final, heureux ?

Carrément.

Le referas-tu ?

Avec joie.

Un dernier mot ?

Merci. On se boit un verre ?

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Ok. Des projets sur le grill du cuistot ?

La suite de « Moi, Peter Pan », qui a reçu un très bon accueil du public, pour cet été. Des nouvelles par-ci, par-là (pour se détendre), un nouveau roman en gestation.

Pour la rentrée, un programme secret avec la maison d’édition Walrus, malgré quelques fuites sur le net.

Et un énorme projet de court-métrage thriller fantastique dont je suis au scénario, avec du lourd en acteurs et la réalisation. Ce projet me fout vraiment la patate tellement il est bon et j’ai hâte qu’il émerge au grand jour…

—> ici finit l’itw <—

Coup de latte dans le tonneau, je vire l’ordi d’un pas chassé. J’attrape Michael et le saucissonne à mon top case. Coup d’accélérateur, nous voici sur le boulevard. Puis en quelques minutes — en respectant SCRUPULEUSEMENT les limitations de vitesse – nous arrivons chez lui.
Il chiale.
La chute de tension.
Il vomit.
La vitesse.
Il s’évanouit.
On grimpe l’escalier de son immeuble et je le dépose sur son lit.
Fucking Bastard Destin.
Encore un auteur qui tourne mal.
Il faudrait vraiment un groupe d’intervention pour s’en occuper.
Mais genre…
vraiment.

Notes : tu peux lire ce que Michael a écrit en cliquant sur ce lien !
Et retrouver le site de sa participation en cliquant sur celui-ci !

Notebis : Ok pour le verre !

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