Question artisanat (un peu geek)

– C’est ton premier jour en apprentissage ?
– Oui m’sieur.
– T’as quel âge ?
– 36 ans m’sieur.
– C’est pas un peu vieux pour faire de l’apprentissage ?
– Bin si, mais je me suis réorienté tout ça.
– Tu faisais quoi avant ?
– De l’informatique…
Silence. Le maître d’apprentissage me regarde avec une sorte de compréhension triste.
– Amène toi, conclut-il.

Il me conduit dans son atelier. Là, à la perpendiculaire de la fenêtre, son établi. Dessus, son ordinateur portable. A côté, son imprimante laser monochrome.
– C’est là que je bosse, dit-il.
– Hum.
– Avant on faisait ça sur des machines énormes, aux ventilateurs qui vrombissaient toute la journée. Ça faisait un tel raffut qu’on en avait mal au crâne à la fin. Pi ça chauffait. Et les écrans, des CRT qui t’arrachaient les yeux. Beaucoup on finit myope.
– Hum.
– Avant le métier était dur.
– Je comprends.
– Oublie pas ça quand tu vas commencer : ceux qui travaillaient avant toi se sont sacrifiés. T’es un de leur héritier. Vis à vis d’eux, tu peux pas mal faire ton boulot.
Que dire. Imaginer ces centaines d’auteurs aux vies brisées par leur outil de travail me touche un peu. Comme tout le monde, j’avais une vision romantique de ce métier : je m’imaginais inventant des mondes, manipulant des personnages, dans une oisive facilité, noircissant des pages à tour de bras, félicité par l’éditeur, encensé par le public, alors qu’il n’en est rien.
– Je t’ai installé un peu plus loin, reprend le vieux. C’est un petit bureau Ikéa, un peu branlant, mais si tu remues pas trop, ça devrait faire l’affaire.
Nous faisons encore quelques pas et je me retrouve face à un meuble usé, empoussiéré, sur lequel un vieux Toshiba gris m’attend. Le portable, épais de sept centimètres, sent le windows 95. Il témoigne de combien les temps sont durs ces dernières années.
– Vous recevez souvent des apprentis ?
– Non. Le métier n’intéresse plus. Les jeunes préfèrent profiter que créer.
– Hum.
– C’est pas du matos tout jeune, mais ça sera suffisant. Y a tout ce dont tu as besoin.
– Genre ?
– Un traitement de texte. Il en existe plein. De Page sous Mac ou Libre office, en passant par notepad ou textEdit, tu as l’embarras du choix. Personnellement, j’en utilise 2 : TextEdit pour prendre des notes, et Word pour écrire vraiment.
word-viewer
– Ah oui je vois. L’image est grosse non ?
– J’ai la flemme de la retailler : je suis vieux…
– Ok.
– Ensuite, pour corriger mon texte, j’utilise un classique qui a fait ses preuves : Antidote HD.
antidote-hd

– J’en ai entendu parler.
– C’est normal, c’est le genre d’outil que tous les artisans utilisent depuis des lustres. Pourtant avec les années, son prix a sacrément augmenté. C’est comme tout : les prix augmentent, les salaires baissent…
J’ai entendu parler de la difficulté de vivre de son art, tant pour les romanciers que pour les scénaristes, mais malgré tout, je ne me suis pas découragé. Je me suis inscrit dans cette formation parce qu’au fond, c’est ce que j’aime faire. Et j’ai même l’impression d’être fait pour ça. Je dois maintenant prouver que je suis bon.
– C’est tout ce qu’il faut j’imagine.
– Ah mais non.  Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : que crois-tu, qu’il ne faut qu’un joli cerveau pour écrire ? Qu’un talent travaillé ? Allons, allons, il faut se remplir. Pour ça, tu as les films, les séries, les livres, surtout les livres, les BDs, le net.
– J’aurai jamais assez d’argent pour tout voir.
– Alors il te faudra choisir.
– Et le net, y a tellement d’info que j’oublie ce que j’y lis.
– C’est normal : notre cerveau ne lit pas l’internet comme il lit un livre. C’est assez déroutant pour des vieux comme nous. Du coup, nous lisons en diagonale, de manière superficielle. Pour contrebalancer, il te faut un outil où ranger les articles qui te parlent et les enregistrer.
– Ah ouais.
– T’as l’artisanal : genre « Enregistrer sous », c’est une manière de faire. Sinon des outils comme Zotero, mais j’ai pas bien pigé son fonctionnement. Y a aussi Pearltrees qui est bien, qui te propose des views des articles, et une partie communautaire pour trouver d’autres articles mis de côté par d’autres. Ça te permet d’augmenter ta base de connaissances grâce au partage.
pearltrees

– C’est pas mal, dis-je. C’est vrai que je n’avais pas pensé aux recherches.
– On oublie souvent ce genre de détails. J’aimais bien pearltrees, mais il me manquait le côté sauvegarde. Car un site peut fermer, les liens peuvent changer, et même pearltrees peut fermer. Du coup, je me suis tourné vers un truc qui sauvegarde chez moi, mes pages préférées. Evernote.
evernoteapp

– Grâce au plugin webclipper, ajoute-t-il, tu peux enregistrer n’importe quelle page ou article, et même choisir une version « simplifiée », qui te vire toutes les pubs. Tout le boulot ensuite consiste ensuite à te créer des carnets de notes où ranger tes articles.
– Pas mal. Effectivement.
– Tout ça ce ne sont que des outils hein. L’essentiel tu l’as déjà : le cerveau, le courage, l’abnégation. Ces gadgets ne sont que des tremplins.
– En parlant de tremplins, vous ne vous êtes jamais risqué au scénario ?
– Si. J’utilise deux logiciels principaux : Celtx

celtx-logoweb

un très bon logiciel, très complet, qui te cadre lors de ta création. Il te propose des fiches de scènes, de personnages, puis de travailler ton scénario de manière carrée. Impossible de se viander avec. Sinon, pour les trucs plus légers, je recours à Final Draft
final-draft-1

Un logiciel plus simple, mais qui permet de rédiger des scripts propres, de suite utilisables.
– Et bien, j’ignorais qu’il y en avait tant…
– Et ouais. Ah, pour finir, tout auteur a connu l’horreur de perdre un manuscrit. Clef usb détruite, disque dur défectueux, ordinateur portable cassé, j’en passe et des meilleurs. C’est pourquoi j’ai tout mis sur le net. J’ai un dossier sur mon ordinateur qui est synchronisé avec un espace de stockage distant. Dropbox.
dropbox

– Il en existe d’autres, ou d’autres manières de faire. C’est celle que j’ai choisi, parce qu’elle me va bien. Je t’ai proposé mes outils, pour que tu les testes et te fasses une idée.
– J’avais pas conscience qu’il en fallait autant.
– Ils ne sont pas indispensables. Un notepad peut te suffire. Le truc c’est qu’ils te simplifient la vie. Ce serait dommage de ne pas en profiter.
– Je comprends. En tout cas, avec vos conseils et ces logiciels, je vais pouvoir m’en sortir.
Le vieil artisan me considère.
– Ne te fais pas trop d’illusion, écrire n’a jamais été facile, ni aussi dur qu’aujourd’hui.
– Comment ça ?
– Nous vivons une époque où il existe un nombre effarant de bons auteurs, où jamais autant de livres n’a été publié, où jamais il n’a été si facile d’être publié, et où jamais il n’a été si dur d’être lu.
C’est sûr. Pour autant, je suis un homme de challenge. J’ai toujours pensé que les difficultés existaient pour être surmontées.
– Très bien monsieur. Je vais commencer.
Le vieil artisan me sourit. J’imagine que mon empressement et ma motivation lui rappellent sa propre jeunesse, ces premières années où il a tout donné à sa passion.
– N’hésite pas si tu as des questions. Je serai à mon établi. J’effectue des recherches.
– Pas de problème monsieur.
Il se détourne, le sourire aux lèvres. Un peu rajeunit.
Je prends place et démarre l’antique portable, sourire aux lèvres. Je vais enfin faire ce pour quoi je suis fait.

6 réflexions sur « Question artisanat (un peu geek) »

  1. Mince, je fais figure d’austérité par rapport à toi:
    – LibreOffice pour l’écriture
    – Antidote 8 pour la première passe de corrections
    – Freemind pour les cartes heuristiques (romans seulement, pas nouvelles)

    Je regarderai à l’occasion les autres logiciels que tu évoques 🙂

    Merci pour ce partage!

  2. T’inquiète pas Olivier, je fais encore plus austère : j’utilise word et Dropbox, et rien d’autre ^^

    Ah, si, Zotero mais uniquement dans le domaine universitaire, donc ça compte pas en fait.

    Voilà voilà… x’)

    Joli article, j’aime beaucoup le ton comme d’hab 😉

  3. Un peu pareil, pour ma part:

    – Evernote pour taper des textes vite fait, que je peux bricoler en nomade sur portable, tablette ou même smartphone, et garder des références
    – Word et, de plus en plus maintenant, LibreOffice
    – Dropbox pour le partage
    – calibre pour faire de EPUB
    – pas de correcteur ortho/grammatical; peut-être que je devrais…

    (À ce sujet, tu devrais faire une passe sur ton texte, j’ai vu pas mal de petits trucs.)

    1. Ah, je suis plus Sigil pour les epub et Calibre pour les lire.
      Pour les fautes oui j’imagine, je suis le roi de la coquillette 🙂
      (on utilise un peu tous les mêmes outils en fait :))

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