Projet Z – Stéphane Desienne

Comme toutes les bonnes histoires, tout a commencé au détour d’une conversation sympathique autour d’une bière, dans un rad québécois. Il faisait nuit/froid/neige (oui oui, tout en même temps), Stéphane m’avait filé rendez-vous pour « un truc important ».
Stéphane, c’est le genre de gars positif, toujours prêt à écrire, même quand la maison brûle, alors qu’il se détourne de son clavier pour « quelque chose d’important », je me suis dit que ça devait être achement important, du coup, j’ai dit oui.
Con de moi.
J’ai donc quitté ma superbe maison dans les bois du fond du jardin qui repose sur des cailloux, pour grimper dans mon 4×4 et traverser le blizzard (rien à voir avec les jeux vidéos). Une heure de route pour rejoindre enfin ce pub routier, un peu carde, remplis de bûcherons, de camionneurs et de filles de secondes mains (je teste cette expression pour voir si elle est bien explicite… pas sûr). Stéphane est assis sur un tabouret (un tabouret de bar, pas les ptits trucs ikea, d’ailleurs, ils ont un nom ces tabourets ?), face à une petite table, sur laquelle chauffe deux pintes. Il scrute les bulles, mais ne scalpe pas la mousse. Il n’aimait pas cette chanson.
– Steph !
– Ianian !
Je prends place. Il me pointe une pinte (dur niveau consonance) et me fait signe qu’elle est pour moi.
– Elle est chaude ? dis-je.
– Meu non.
– Nan parce que les bières chaudes…
– Je suis pas un Allemand, je te proposerai pas une bière chaude.
– Ouais parce que ça craint.
– Ça craint.
Steph est un mec bien avec de vraies valeurs vraies. Du coup, revenons-en à ces boutons :
– Pourquoi tu voulais me voir ?
– Voilà, reprend Steph, j’ai écrit un truc, et je sais pas trop.
– Pas trop quoi ?
– Justement, tu voudrais pas y jeter un coup d’oeil ?
– Steph, tout ce que t’écris vaut de l’or, t’es le Max Brooks français, dès qu’un truc gémit, se tortille et s’en va bouffer des gens, tu cartonnes.
– Oui mais justement, je me demande si je me suis pas émoussé avec le temps.
– Hum.
– Alors ?
– Fait péter ton texte.

Voilà comment tout a commencé. C’était bien hein ? Moi je trouve. Je pourrai m’arrêter là, sauf que non. Poursuivons.

Il m’a donc donné son manuscrit.

Lundi, je saute dans mon train de banlieue pour me rendre au boulot (oui, je suis rentré du Québec libre pour retrouver ma vie parigo-yumingtonienne).
Là, ça a commencé comme une mauvaise blague…

<inclusion d’un statut FB – ou recyclage de blague>
– Stéphane Desienne ?
– Pardon ?
– Vous êtes Stéphane Desienne !
– Non… Je…
– Ne mentez pas, c’est écrit là ! 
– Oui mais…
– C’est votre nouvelle série ? Non parce que j’avais adoré la première !
– Heu… Merci.
– Dingue ça, Stéphane Desienne…
– Et oui, dingue… 
Elle sourit. 
J’ajoute : 
– Tant qu’on y est, je vous signe un autographe ?
– Ouiiiiiiiiiii !

Facile de rendre une lectrice heureuse…

Puis le mardi, même topo, et le mercredi, jusqu’au jeudi, où j’ai craqué :
– Monsieur ?
– Non je suis pas Stéphane Desienne !
– Heu…
– Ni Michael Roch, ni Jacques Fouette-en-alba, ni Bernard Werber en 16-9e, ni Donald Gibb, ni John Rhys-Davies, ou qui sais-je encore !
– Je voulais juste qu’on échange nos places, parce que je connais la personne en face de vous.
– Ah…

Et vendredi m’est venu l’idée, L’IDÉE !

J’ai piqué sa photo sur adopteunauteur, j’ai modifié ma tronche (rasé la barbe, acheté une perruque, mis une gaine pour faire plus maigre), mon look (fini les t-shirt Affligem, les basket des années 90), puis je me suis fait faire le t-shirt « F*ck Me I m Desienne ». Et là, le carton.

Je m’présente, je m’appelle Stephi,
Je voudrais bien écrire toute ma vie, toute ma viiiiiiie !
Je suis beau, je gagne d’l’argeeeent,
Et surtout j’suis intelligent,
Ma spécialité ? les zombies à plein temps !

Et partout dans la rue,
je veux qu’on parle de moi,
que les filles soient nues,
qu’elles se jettent sur moi,
qu’elles m’admirent, qu’elles me tuuuuuuuent !
qu’elles s’arrachent mes epuuuuuuuuuubs !

Succès immédiat.
Incroyable, impensable, inimaginable.
Je suis rentré chez moi, poursuivi par une horde de femelles tout droit échappées de Hyenas (un film vraiment pas recommandable). J’ai cloué les fenêtres, la porte, et j’ai attendu qu’elles se sauvent. Plusieurs jours.

La nuit, je m’approchais de la porte, et j’entendais leur « stéphaaaaaane » chuchotés avec leur voix gutturale (elle avaient fini par choper la crève). Par le trou de la serrure, j’entrevoyais leurs vêtements salis par les intempéries, leurs cheveux ébouriffés, leurs faciès émincés. Elles raclaient ma porte, à s’en retourner les ongles, elles humaient l’air pour vérifier ma présence, elles m’encerclaient, me menaçaient, et je n’avais aucune échappatoire…

J’ai donc terminé de lire le manuscrit.

Et là, la consternation : bien écrit, bien rythmé, sans faute, quasi nickel, je compris enfin le piège dans lequel Stéphane m’avait fait tomber. Son manuscrit était un boum-je-t-attrape destiné à me perdre. Comparativement, les miens me semblaient fades, bordéliques, brouillons. Je les jetai, puis relis une nouvelle fois le manuscrit de SD, tandis que dehors, les hordes poursuivaient leur travail de sape.

La maison ne pourrait tenir très longtemps.

Il me fallait une stratégie.

J’ai quitté ma gaine, ma perruque, ma non-barbe et ai entrouvert la porte. Elles étaient toutes là, chuchotant à l’unisson : « Stéphaaaaaane »

– Et non gourgandines de l’enfer, je suis ianian !
– Stéphaaaaaaaaane…
– Non, non, voyez ma trogne, ma bedaine…
– Stéphaaaaaaaaane….

Merde, le t-shirt !

– Stéphaaaaaaaane…
– NOOOOOOOOOOOOOOOON !

De retour dans le rad, Stéphane m’attend devant deux pintes (oui on revient au présent parce que c’est plus mieux, na!).
J’entre et le considère.
– Ianian ?
– Ouais.
– Pourquoi tes fringues sont lacérés ? Et pourquoi t’es recouvert de rouge à lèvre ? Et ça ? On dirait des suçons non ?
– Possible.
– Tu t’es fait agressé ?
– En quelque sorte… Mais j’l’ai un peu cherché…
Stéphane m’aide à m’assoir. J’attrape la pinte et l’enfile, cul sec.
– Alors ce manuscrit ? demande-t-il.
– Très très bien. Comme d’habitude, cette série fera un carton.
– T’es sûr ?
– Oui oui. Y a bien ce truc –Spoil– et ce –Spoil– un peu trop, mais sérieux, ça envoie du bois.
– Ok. Mais toi, t’es sur que ça va ?
– Oui, oui, répété-je. J’ai juste besoin de… d’une pause.
– Ok, attend, j’en recommande deux, ça va nous faire penser à autre chose.
– Ok… dis…
– Oui ?
– Tu savais que t’avais des fans ?
– Ba ouais.
– Non mais je veux dire, des mecs fans ?
– Ba ouais.
– Ok…

Note pour plus tard : ne plus me faire passer pour n’importe qui.
Note pour plus tard bis : me méfier de mes  propres fans…

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