Shining – entre King et Kubrick

Une nouvelle fois vient se poser la question de l’adaptation d’un livre en film. Shining.
Pour la petite histoire, j’ai vu le film il y a longtemps. Je l’ai revu. Puis le reportage d’Arte m’a replongé dedans. De son côté, King a sorti Docteur Sleep, la suite de Shining. J’ai rencontré l’auteur au Grand Rex, durant sa tournée promotionnelle. Pendant qu’il nous souriait, et nous faisait rire, quelque chose le gênait, voilant ses traits, fronçant son front, contrariant sa bonne humeur. Ce point d’achoppement venait de Shining. Son premier volume ? Non, son adaptation. Lorsqu’il l’abordait, King perdait alors son charisme pour tenir des propos sombres, agressifs, haineux. Puis, une fois l’orage passé, sa nature joyeuse reprenait le dessus.
Je comprenais pas pourquoi une telle haine envers le portage de son oeuvre au grand écran.
Pourquoi une telle colère ?
D’où venait-elle ?
Que s’était-il passé lors de la scénarisation puis de tournage ?
Ces dernières semaines j’ai lu Shining. Et je pense avoir compris.

Reprenons déjà le 4e de couverture : « Quand on propose à Jack Torrance, ancien professeur et ancien alcoolique, un poste de gardien pour l’hiver à l’hôtel Overlook dans les montagnes du Colorado, il croit tenir là une chance de se racheter aux yeux de sa famille.

Il s’y installe avec Wendy, sa femme, et leur fils Danny, en espérant profiter de cette occasion pour écrire la pièce de théâtre qui le révélera au monde.Mais les démons de l’hôtel trouvent en Jack une proie presque trop facile pour poursuivre leur œuvre de mal, et il faudra le courage et le sixième sens étrange de son fils pour sauver in extremis ce qui pourra l’être. 

Car Danny possède ce don de lumière de même que l’ancien cuisinier de l’hôtel, Dick Hallorann, et la conjugaison des deux fera reculer les forces du mal. Pendant un certain temps… »

La lecture.

Il ressort de la lecture des différences dans la trame par rapport au film : tel personnage est différent, untel ne fait pas tout à fait la même chose, le trio principal est quant à lui respecté : Jack, Wendy et Danny. L’hôtel est là aussi. Mais il se comporte plus insidieusement, parfois plus violemment aussi. L’équilibre entre les visions dans le livre et dans le film est intéressant, surtout lorsqu’on se rend compte des détails utilisés par Kubrick pour créer chez le spectateur un sentiment de malaise (la moquette qui change de sens, l’incohérence des lieux, la disparition d’objets à l’écran, qui sont autant de stimuli que le cerveau enregistre malgré nous et qui provoque un malêtre palpable).
De l’écrit à l’écran, les deux narrateurs cherchent à provoquer un sentiment d’étrangeté, de malaise, puis de défiance à l’égard de l’hôtel.
Tout découle de lui : l’hôtel a l’intention de… s’attaquer à Danny, ou de récupérer son pouvoir, on ne sait pas trop comment, et pour cela il va s’emparer de son père.
En partant de là, on pourrait penser que Shining est l’histoire d’une maison hantée.
Et c’est un peu dans ce sens que Kubrick l’a traité : l’hôtel est son personnage principal. Il est le protagoniste qui fait basculer le destin des personnages.
Jack sombre, attrape la hache et s’amuse comme un petit fou dans une scène d’anthologie dont seul Nicholson à le secret.
OK.
Très bien.

Dans le livre, l’hôtel n’est pas le personnage principal.
Je ne reviendrai pas sur son nom : l’Overlook, qui peut signifier surplomber comme négliger, laisser passer, moi qui ne suis pas anglophone et qui serait malavisé de me lancer dans une explication de texte.
Non, par contre, je peux revenir sur son rôle : c’est une prison. Il enferme les personnages, à grand renfort d’intempéries, il les coupe du monde, avant de les tourmenter. Et les tourments qu’il provoque tiennent davantage des errements internes des personnages : l’alcoolisme de Jack, la culpabilité de Wendy, le fait de quitter l’enfance pour Danny.
Ces trois personnages, lorsqu’ils arrivent à l’Overlook, sont déjà emprisonnés dans leurs propres destins. L’hôtel ne vient que les couper du monde pour les faire se confronter à leurs prisons intimes.

Pour autant, toutes ces prisons ne se valent pas. La culpabilité et l’envie de divorce de Wendy, sont bloqués par l’espoir de retrouver une vie de famille normale. Les visions de Danny sont un réconfort au milieu d’une vie de famille fracassée qu’il sent aller à vau-l’eau. On peut estimer que ses cauchemars peuvent être sa traduction interne des tensions qui opposent son père et sa mère. Dès lors, quel ciment les fait tous tenir ensemble, dans une espèce d’univers en décomposition, parsemé de moments violents, de pleures et d’amour maladroit ? L’alcool.
Au sortir de la lecture, je suis persuadé que le personnage principal de ce livre est l’alcoolisme de Jack. Il provoque l’histoire, les rencontres, il détruit les personnages, il donne à l’hôtel la force de les détruire et Danny, si pure par cette enfance innocente qu’il incarne, ne peut qu’être la proie de cette force destructrice.
Et en même temps, ce pouvoir, cette pureté, pendant un temps, elle donne la force à Jack d’arrêter de boire.

Il me semble que lors de sa rédaction, King était alcoolique. La force évocatrice avec laquelle il présente la dépendance, le sevrage, la culpabilité, la colère, la honte, tous ces sentiments qui traversent les uns après les autres Jack, font écho à sa propre expérience et à ses sentiments.

À partir de là, je crois comprendre pourquoi la vision de la maison hantée lui a laissé un arrière goût d’échec. De ce point de vue, Kubrick a simplifié le propos, il a fait une proposition un peu différente, originale, mais qui a pu apparaitre aux yeux de l’auteur comme une trahison.

Au final.

Les deux oeuvres valent le détour.

Mais elles ne racontent pas tout à fait la même chose.

Allez, tchuB !



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