Sérotonine – Michel Houellebecq

Nous sommes le 2 février 2018. C’est le petit matin. Comme tous les jours, Jacqueline Mandier se lève. Elle se douche, s’habille, puis descend se préparer un petit déjeuner. Rien d’extraordinaire : un café, deux tartines de beurre sur lesquelles elle étale de la confiture. Elle mange seule. Son homme est déjà au travail. Elle est mariée depuis 1998 à Roger Mandier. Un éleveur normand. Ils se sont dit oui juste après la coupe du monde, un moment d’euphorie qui les a porté quelques mois. Jusqu’à ce que la réalité les rattrape : les factures, les prix de la viande et du lait qui s’effondrent, etc.
Jacqueline termine rapidement son repas, elle passe son bleu de travail, ses bottes et file dans l’étable retrouver Roger. Mais Roger n’est pas là. Les vaches veulent, nerveuses, elles attendent d’être traites. Jacqueline se dit que Roger est peut-être en retard, qu’il a eu un problème dans un pré, ça lui arrive parfois, quand une clôture tombe. Mais il n’a pas eu de grand vent hier soir. La nuit était calme, silencieuse.
Jacqueline s’interroge. Où son mari a-t-il bien pu passer ? Elle revient à la maison, le 4×4 de Roger est là. Elle s’approche, regarde par la vitre, les clefs sont sur le véhicule. Sur le siège passager, se trouve le livre que Roger lisait distraitement le soir. Cette fois, elle s’inquiète. 
Elle se tourne vers les pâturages. Elle là haut, sur la colline, elle croit voir quelque chose.
Elle court, traverse la ferme, avant de grimper par dessus la clôture. Elle progresse maintenant dans une terre boueuse. Ses pas sont lourds, lents, les éléments semblent l’empêcher d’avancer, à mesure que ses yeux se portent sur cet arbre au loin. Sur cette ombre qui pend.
Encore quelques minutes, les larmes aux yeux, elle arrive et découvre Roger, son Roger, qui est là, à trois mètres de haut, une corde autour du coup. 
Jacqueline crie. Elle se laisse tomber. Elle pleure. Elle hurle de plus belle, elle appelle à l’aide. 
Le brigadier chef Mathieu Duval arrive une heure plus tard, accompagné par une équipe de pompiers. Tandis que les hommes se chargent du corps, le Brigadier interroge Jacqueline :
– Vous n’avez rien vu venir ?
– Non, dit-elle encore abasourdie par les évènements.
– Il ne s’était rien passé ?
– Il avait juste terminé un livre.
– Un livre ?
– Il est dans la voiture.
– Il l’a fini, puis la mis dans sa voiture, avant de venir… ici ? demande le Brigadier avec une certaine pudeur dans ses propos. C’est bien ça ? reprend-il.
– C’est ça oui, souffle Jacqueline, qui parvient de justesse à retenir de nouvelles larmes.
Mathieu Duval n’ajoute rien. Il a déjà compris. Il rejoint le 4×4 de Roger. Sur le siège passager, se trouve le livre, ce livre, qui secoue toute la Normandie depuis maintenant un mois. Cette couverture, il l’a vu plus d’une dizaine de fois. Ces lettres imprimées, il les a déjà lues : Sérotonine, Houellebecq. 
Dépression, fin de vie, fin du monde agricole, fin du monde tout court, il sait que ces pages maudites perforent le coeurs des paysans du coin. Sans parler de cet amour tendre, presque mélancolique, qui donne au texte une douceur définitive, une sensation d’impossible retour en arrière, cette promesse d’agonie sucrée, vautrée dans des souvenirs tantôt agréables, tantôt cruels.
Peut-on accuser l’auteur d’être un criminel, si ce ne sont que ces mots qui tuent ? 
L’éditeur est-il complice ?
Le lecteur, n’est-il qu’une victime ?
Le brigadier regarde les pompiers envelopper le corps. Roger ne lira plus jamais de Houellebecq.
Si seulement les normands faisaient comme les Belges. Si seulement ils pouvaient lire Nadine Monfils. Ils en sortiraient moins désespérés.

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