Pendominos and co

Je prépare un cours sur les jeux sérieux.
Pour un master.
À cet égard je m’intéresse aux briques de gameplay et à leurs utilisations. Hasard du hasard, pendant le confinement, j’avais acheté Seconde chance pour jouer avec mes enfants.
Ce truc là :

Le concept est facile à comprendre : on tire à chaque tour deux cartes, chacune représente une forme, on choisit une forme et on la dessine sur son quadrillage. Le jeu fonctionne en mode Battle royale : le dernier qui survit a gagné.
Il s’agit d’une sorte de puzzle game. On doit agencer les pièces au mieux pour gagner.
On a fait quelques parties puis la boite a commencé à s’empoussiérer. Pourquoi ?
Le jeu pourrait être sympa mais il lui manque des éléments moteurs (pour moi) : il y a finalement peu d’interaction entre les joueurs, il faut attendre d’arriver dans les derniers dessins pour ressentir un peu de tension et cette tension dure 1 voire 2 tirages. Chacun joue de son côté. Et c’est plutôt brut de fonderie.
(du coup, on s’est rabattu sur un jeu de pichenette et on a un peu détruit la maison, mais c’est une autre histoire :))

Reste que j’aimais le côté « Tetris en pas jeu vidéo ».

Curieux, j’ai voulu connaître l’origine de ces jeux d’imbrication.
Et je suis tombé sur les Pendominos :

Oui, j’ai mis une photo avec un jeu qui fait très vieux, pour bien montrer que c’est un vieux jeu (la mise en scène, c’est important dans une démonstration).

Il s’agit d’une sorte de puzzle game où soit on tente de résoudre le puzzle, soit on joue à plusieurs et chacun son tour, on doit poser une forme géométrique jusqu’au moment où les joueurs sont éliminés car incapable de poser une pièce.


Oui, tout seul on s’élimine pas. Mais on peut perdre (imaginez cette enfant hurlant et jetant les pièces après avoir perdu…).

Pour éviter l’ennui ou pour mobiliser des compétences plus variées, certain ont détourné le jeu pour jouer sur les formes et les couleurs. Finit le plateau carré ou rectangulaire, bonjour les formes rigolotes :


Pas d’élimination, on joue chacun de son côté à composer des formes avec les pièces de puzzle fournies. Est-on encore dans le même jeu ? Plus vraiment. Reste qu’on manipule des formes pour remplir un espace. Donc ce n’est pas non plus un jeu totalement différent.

D’autres ont poussé la construction de puzzle en 3D :

La 3D permet de s’affranchir de la contrainte du plateau et là encore nous sommes dans la construction de forme ou le défis de cette construction (« t’as cinq minutes pour faire l’escalier à double vis de Chambord ! »).

Côté jeu vidéo, on pense évidemment à Tétris. Il a conservé le côté « jeu d’emboitement », « puzzle game », mais le concepteur a ajouté des éléments intéressants : un plateau vertical et non plus horizontale, un nombre de pièces infinies, la « chute » des pièces, la vitesse de cette chute, le fait de constituer des lignes qui disparaissent et des feedbacks sympa (étoiles, lumières, sons, etc).


Tetris a connu un succès énorme.
Mais pour en revenir au jeu sur table, le côté puzzle reste toujours un peu pauvre en terme ludique.

Que pourrait-on ajouter pour rendre ce type de jeu plus attrayant ? Plus engageant ? Plus profond.
Disons un contexte narratif : on devrait imbriquer des pièces de puzzle pour une bonne raison.
Disons aussi : des challenges dans l’agencement. Contraindre des emplacements spécifiques avec des zones bloquées, ou inciter le joueur à positionner ses pièces non plus pour remplir l’espace mais pour optimiser les relations entre les pièces.
Alors cela signifie que les pièces sont plus que des formes, elles doivent posséder une certaine valeur. Des valeurs différentes. Pour que le joueur se dise : « OK j’ai plein de place, mais là, c’est mieux qu’ici parce que la relation entre cette pièce déjà posée et celle que j’ai me permettra de remporter plus de points ».
Oui, il faut des points, pour faire ressentir le fait qu’il est possible de bien jouer, de mieux jouer, de jouer encore (la fameuse phase d’apprentissage).

Grande nouvelle, un jeu de ce type existe :


Voici le matériel :


Contexte scénaristique, dilemmes au niveau de l’agencement, contraintes, différentes valeurs des pièces, points de victoire, en mode solo ou affrontement (on est plus en mode battle royale), on est face à un puzzle game ++.
Ce jeu est plus immersif que Seconde chance.
Ce jeu est plus complexe que Seconde chance.
Et donc au final, ce jeu est meilleur que Seconde chance.
Mais qu’importe, ce n’est pas un article qui compare des jeux pour vous aider dans vos choix d’achats (encore qu’il nous a permis de ranger le jeu de pichenette… une autre fois, vraiment).
Non, il s’agit plutôt de s’interroger sur l’implémentation d’une brique de gameplay. D’un simple puzzle, on se retrouve avec des jeux proches, lointains, différents, avec des qualités et des défauts, plus ou moins intéressants, plus ou moins drôles.

Voilà où j’aimerai en venir avec les étudiants qui me feront face : jouer est important car les briques de gameplay deviendront vos outils.
Ces outils, vous pourrez les utiliser de plein de façons différentes. Vous pourrez vous en inspirez, les modifier, les tordre, les réinventer, les casser même, peu importe.
Mais vous ne devrez surtout pas les imaginer comme un objet fini.
L’exemple de Cartographers montre combien on peut « jouer avec un jeu » (si vous me permettez l’expression).

J’ajouterai qu’il n’y a pas de mauvais outil.
Il y a par contre de mauvaises utilisations. Cela peut arriver.
Mais au final, ce qui compte vraiment, ce sont les objectifs (ludiques et sérieux). Autrement dit c’est la manière dont on va utiliser ces outils pour répondre aux objectifs qui est important.

Je vous souhaite un joyeux couvre-feu ludique.

Prenez soin de vous.

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