Question vérité

Je rentrais d’une soirée bien arrosée, où l’on avait fêté l’épisode 4 de la Brigade des loups, reprenant en tête les tubes de la bande Vasile, quand, avant de tomber comme une pierre tombale ivre, j’ai lancé mon butineur une ultime fois. Réflexe geekien.
Les pages se sont rafraichies, les posts de mes amis et de leurs amis se sont entremêlés, les vannes et les lol-cats se mélangés, au point qu’un bout de deux minutes, ce goubli-boulga d’informations me filaient la nausée. J’allais refermer mon portable, lorsque, au milieu des flux imbéciles, j’aperçus un article de Stéphane. Stéphane. Le fusionneur d’aliens et de zombies, le Ridley Scott des Carpates, l’inventeur des humains prêt-à-consommer, le… je ne trouve plus mes mots, affaiblis que je suis par cette soirée trop rarrosée.
Stéphane donc.
L’article incriminé, le voici : http://dzahell.fr/capturer-la-creativite-par-stephane-desienne
Jamais, que dis-je, JAMAIS, je n’avais lu un tel ramassis de mensonges : créativité, brainstorm, pression questionnement, planification, puis étalage de fichiers, à grands renforts de copie d’écran, j’en tombai de ma chaise.

Ayant cuvé, mais ayant toujours en tête cette chanson entêtante (la chenille, la chenille), je prends aujourd’hui le clavier (ma plume numérique, qui n’est pas là où tu l’imagines, foutriquet), pour rétablir la vérité. Car la créativité ne se capture pas. Et Stéphane n’a pas dit la vérité !
Mais pour te l’expliquer, remontons le temps.

Juin 1982. Un petit garçon joufflu regarde les étoiles et dit, tout zozotant, fautes aux dents qu’il lui manque : « un zour, ze zerait écrivain ! »
Souvenir mignon hein.
Mais un peu trop lointain.

Repartons pour le futur, mais passé (tu suis ?).
Aout 1995. L’adolescent repose son d20. Il vient de rater son jet sous Mort. Son personnage, qu’il utilise depuis trois ans, est désintégré. Il jette un coup d’oeil à ses compagnons, ceux-ci détournent le regard, gênés. L’adolescent cherche une échappatoire, un moyen d’éviter cette triste destinée. Mais le MD est implacable : « Donne moi ta feuille de perso » Et il la déchire. Les poings serrés, l’adolescent se jure d’arrêter le jdr au profit de l’écriture.

31 mai 2013. L’adulte vérifie sur son navigateur. Son premier roman est enfin publié. Il repense à juin 82, puis à aout 95. Il se dit que ça y est, il y est parvenu, il tient sa revanche sur la vie, il va enfin pouvoir clamer partout qu’il est écrivain, il va enfin participer aux émissions littéraires, toucher une thune folle et honteuse, profiter des soirées de la haute dans Paris, boire du champagne, rencontrer des gens faciles, au look improbable, et rouler dans des voitures luxueuses de luxe, histoire de concurrencer les plus riches saoudiens. 

Sauf que, le soir de ce 31 mai 2013, quelqu’un vint frapper à sa porte…
Toc toc toc
(oui j’ai eu un stage de bruitage écrit la semaine passée)
– Bonjour,dis-je.
– S’lut.
– S’lut.
Deux gars, un brun, un blond, chevelu, portant des fringues très année 70.
– Je peux vous aider ?
– On vient voir si tout va bien.
– Tout va bien, réponds-je. Vous z’êtes ?
– On peut entrer ?
– Non.
Le brun pousse la porte, me faisant reculer et me laissant entrevoir un holster contenant un pétard digne de l’inspecteur Harry.
– Paul, précise-t-il. Mon coéquipier, David.
David tire une plaque de sa veste :
– Police d’Esver City.
– Police de où ?
– T’occupe, balance le blond. On vient pour ton livre.
– Ah. Il vous a plu ?
– Tu nous as vu ? reprend le blond, David je crois. On a des tronches à lire ?
– Je… Vache de question : si je dis oui, vous allez dire que je vous traite de geek, et vous m’en collerez une ; si je dis non, vous allez dire que je vous traite d’ignare, et vous m’en collerez une…
– Il pige vite ce gamin, souligne le brun. Il me plait.
– Vite fait, ajoute le blond. Voici le topo : on est venu t’apporter ton badge d’écrivain.
– Mon badge d’écrivain ?
– Ouep. A ce titre, tu vas être membre honoraire de la ville d’Esver. Fun hein !
– Je suis pas sûr de piger…
– T’inquiètes, tu vas piger. Pour commencer, tu vas nous suivre, nous devons t’emmener à l’Entrepôt.
– L’entrepôt
– Hey, c’est pas parce que c’est à l’oral que tu dois manger la majuscule ! me prévient le blond.
– L’Entrepôt est l’endroit où on fait venir tous les écrivains pour enregistrer leurs idées. Une fois fait, on mélange tout et tout porteur du badge peut venir y piocher des idées.
– C’est quoi alors, une réserve à idées ?
– Pour écrivain ouais.
– Merde… le truc… je vais pouvoir écrire des milliers de livre avec ce machin…
– On se calme le gosse, dit le blond. L’accès à l’Entrepôt est limité, et surtout, y a des règles d’utilisation.
– Des règles genre quoi ?
– On va t’expliquer, m’assure le brun.
– Histoire d’éviter un nouveau cas Musso-Lévy. Le bordel qu’ils nous ont foutu ces deux là.
– Allez, on y va.

Voilà lecteur, la vérité vrai !
Stéphane t’a menti. Il n’existe aucune technique, aucun plan, aucun moyen de capturer la créativité. Il faut juste se rendre à l’Entrepôt, y balancer ses idées, puis se servir dans celles des autres.
Le reste, comme disait mon grand-père, c’est de la littérature.

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