Le téléphone sonna :
– Well, ianian ?
– Ouep.
– It’s Stan. What are u doing now ?
– Stan ?
– Lee !
– le père de Bruce ?
– Ha ha ! Fun like every time !
– Tu parles anglais comme une vache ukrainienne presque russe.
– I know… en vérité, je suis français. J’ai fui pendant la guerre, et du coup, je me suis inventé une vie…
– D’où ton nom foireux ?
– Certes. En vérité je me nomme Stanislas Livonevitch. D’où Stan Lee.
– Mais c’est con parce que du coup, on t’imagine chinois.
– Bref, bref, je viens de sortir mon nouveau film, et j’aimerai ton avis. Ce que je te propose, je te paye la place, le mug X-men, et en échange on réalise une vraie fausse interview, mais rapide hein, j’ai pas que ça à foutre.
– Ok Stan.
– Bon, jeudi soir, Manhattan ?
– Plutôt Bercy Village. Mon RER va pas jusqu’à Manhattan…
– Well ! Perfect ! See U soon !
Il raccrocha.
Je… Quoi ? Comment ? Je suis un mytho ? Je ne connais pas Stan ? Il a pas mon numéro ? T’es vraiment qu’un gros douteur de première. Je m’en vais te raconter ça en quelques scènettes.
How I meet Stan Lee.
J’ai rencontré l’oeuvre de Stan avant de le rencontrer lui. Comme tout adolescent, compulsif, je passais mon temps dans les presses à traquer le moindre comics. Car à l’époque, peu ou pas de magasins spécialisés. Il fallait économiser, suivre les publications, foncer les acheter là où il en restait, puis re-économiser, jusqu’au mois prochain. Un cycle digne des moines doubistes.
Scènette 1 : mes 500 volumes de strange / special strange / nova / des rcm (Récit complet Marvel) / les séries (X-factor, X-force, Daredevil, Wolverine, Hulk, Thor etc etc) sont dans une énorme malle que Stéphane Plazza tente de déplacer. « C’est pour vendre la maison ! » hurle-t-il face caméra, sans se rendre compte que derrière lui, armé d’un coupe papier, je menace de lui ouvrir les entrailles.
Scènette 2 : Stan, grand fan de Maison à vendre, m’aperçoit, et me kiffe. « Ce jeune a le tempérament d’un Kick Ass et la collectionnite d’un vrai fan ! Prenez moi un billet d’avion pour Yèbles ! », son second lui répond : « Stan, y a pas d’aéroport là bas. » « Well, pour l’aéroport le plus proche ! ».
Scènette 3 : tandis que la maison vire au gris, couleur froide et moderne comme des toilettes de supérettes, Stan frappe à la porte. Plazza : « Oh, ton papi est venu nous filer un coup de main, c’est sympa hein ! ». Stan « Where is ianian ? » Step : « Bryan ? In the Kitchen ! » Stan : « Damned. Where is ian-ian ? » Steph : « oh, le gamin avec les bédés débiles ? dans le garde meuble, il les lit ! ».
Voilà comment je l’ai rencontré, dans le garde meuble de Guignes Rabutin.
Quoi ? Tu me traites encore de mytho ?
Bouclier ! C’est toi le mytho !
C’est donc en repensant à cette rencontre émotionnante que, pleurant à moitié, j’ai pris place dans ce cinéma où pour onze (douze ?) euros, j’ai eu droit à une glace à moitié fondu sous mon siège et des popcorns sur mon assise.
Bravo à la livraison prédictives des trucs-à-grignoter.
Ramassant un peu de glace, léchant quelques popcorns, les replaçant bien sous mon fessier pour le prochain spectateur, je jubile dès les premières notes du générique.
Deux heures plus tard, je suis plus dubitatif.
Stan m’attend au Frog. Déguisé en grand père sénile (il va souvent jusqu’à passer des fringues qui sentent l’urine), il sirote une bière en toute tranquillité. Dès qu’il m’aperçoit, il se précipite pour m’accueillir.
– Alors ? demande-t-il.
– C’est heu…
– T’as aimé ?
– Je… On va plutôt faire les questions, qu’est-ce que t’en dis ?
– Okay !
– Mais tu me réponds en français hein !
– Oui, oui. Comme ça je serai plus incognito 🙂
Et oui, Stan Lee sait imiter les smileys.
– Comment t’es venue cette idée des mutants ? La genèse quoi.
– En fait, avec l’équipe on avait plein les bottes de trouver des idées pour expliquer l’origine des pouvoir des super héros. Ça prenait un temps fou : trouver un truc pseudo scientifique, le monter en béchamel, trouver un pouvoir, le définir, lui poser des limites, etc, etc. Au bout du 300e ça devenait ingérable, d’autant qu’on devait fournir une « excuse » à son héroïsme : pourquoi il défend l’aveugle, la veuve et l’orphelin, et tout le bazars. Et puis entremêler le tout avec une histoire un peu cohérente. Pas trop, le cahier des charges laissait de la marge mais quand même. Donc, flemme de trouver des excuses, nécessité d’en trouver, on a coupé la poire en deux : la méga excuse, celle qui marcherait pour les 300 super héros à viendre : la mutation.
– Ok. Les films insistent beaucoup sur la relation mutant/racisme. C’est un thème qui te parle ?
– Pas du tout. C’est bankable.
– La licence fonctionne bien ?
– Elle fonctionnait jusqu’au troisième opus. Les bénéfices nous ont permis d’embaucher le scénariste d’Il faut sauver le soldat Ryan. Une vrai opportunité.
– Une réussite ?
– Tu parles, il nous a salopé les x-men : il en buté comme si on fêtait les 70 ans du débarquement. Il nous a laissé dans une telle impossibilité de faire des suites que les investisseurs commençait à réfléchir à faire Ant man. Ant man quoi ! C’te blague. On pouvait pas en rester là.
– Alors ?
– On pouvait tenter le reboot, mais ça se serait vu. Et puis on aurait perdu Hugh…
– Et alors ?
– Hugh quoi…
– Ok. Alors ?
– On a rappelé la première équipe, je t’ai déjà du bien de ses scénaristes indiens ? De vrais bosseurs, pro et tout. Bref, on leur a demandé de nettoyer le bordel. Et ils ont eu une idée de génie : un opus avec une boucle temporelle pour corriger les conneries de l’autre.
– Ouais, justement, dans ce dernier opus j’ai été surpris de voir que certains personnages avaient des pouvoirs bizarres. Comme Shadowcat. Elle peut envoyer un esprit dans le passé.
– Well, la méta-excuse nous permet de faire évoluer les personnages : la mutation se renforce, se réduit, les pouvoirs changent. Ça permet de renouveler des persos un peu merdique. Comme Shadowcat oui. De véritables génies ses indiens hein !
– Mais son back to the futur abîme l’esprit ?
– Tout pouvoir doit être limité. Des génies je te dis !
– Et un esprit ? Wolverine, dans le passé, c’était un esprit ou un corps.
– Un corps. On a mis en avant Hugh pour son côté bankable.
– Ok, et son esprit se régénère ?
– Oui. Je… hein ? On s’en fout, qui se soucie de se genre de détails. Tu as aimé ?
– Ouais, ouais, je dis pas, mais j’ai eu plein de soucis avec ce film. Des problèmes logiques.
– On parle de super héros là. Des héros capables de détruire la terre, s’habillant comme des danseuses classiques. Des gars avec des pouvoirs de fous, comme allez super vite, aux gars pas aidés, comme le crapaud qu’à juste une langue qui colle, si on devait s’inquiéter de la logique, on s’en sortirait plus.
– Ouais, je comprends bien. Et au final, cette licence, ces films, tu en es fier ?
– Mais carrément ! Grâce à eux une nouvelle génération s’intéressent aux super héros. Nous avons quelques projets pour les fidéliser plus encore, mais là où nous allons risquer gros, c’est sur la conquête des 30/50 ans. Pour eux, nous avons récupéré une vieille idées un peu honteuse, sur laquelle on a foutu les indiens – toujours eux.
– ?
– Les baby x-men. On va tenter le coup de 3 mutants et un couffin mutant. Génial non ! Et on va tenter de récupérer la main sur les 50 / 70 avec une maison de retraite pleine d’x-men, mais je t’en parlerai la prochaine fois.
– Ok, un dernier mot pour la fin ?
– Oui, pourquoi as-tu parlé de film alors que tu tiens un blog littéraire ?
– Je… heu…
En cet instant, je comprends que ma vie a pris une tournure étrange. En regardant mon plat, un poulet Biryani, je pige : les indiens sont si géniaux qu’ils arrivent à modifier la réalité. Je suis tomber dans un de leur piège.
Ils sont bien géniaux.
Et dangereux.