Contexte : le prochain projet est un peu fou. Il est un peu tôt pour en parler, aussi vais-je me contenter d’un extrait. Il s’agit d’un premier jet. Il y a donc des coquillettes (ce blog est sponsorisé par Panzani), des maladresses, et un agencement d’idées sans doute à revoir. En l’état, je suis tout de même suffisamment satisfait pour le proposer à ton regard acéré vil lecteur/fan, histoire de créer chez toi une attente insurmontable.
Allez, bonne lecture.
Myria – client 03
Enfin la pause déjeuner. J’ai juste eu le temps de passer prendre une salade, avant de sauter dans la voiture pour traverser la ville. Malgré la circulation, et les intempéries. Tandis que je cherche une place devant le centre, je repense à ce matin, aux petites, à leur question. Je m’étais jurée de ne rien leur dire, pour ne pas les perturber, mais il est impossible de se cacher devant les enfants. Ils lisent à travers leurs parents comme dans des livres ouverts. Et pour la première fois depuis cinq ans, je n’ai pas eu le courage de leur mentir.
Du haut de leurs huit ans, elles serraient leurs petits poings, le front haut, comme pour m’avertir qu’elles étaient devenues grandes, qu’elles pouvaient entendre la vérité, la supporter. Huit ans déjà.
J’avais presque enfilé ma veste et attraper mon attaché-case, lorsque Cydia, comme à son habitude, prit la parole. Des deux jumelles, c’est la plus téméraire, la plus franche. À ses côtés, Lyvie se contentait de l’imiter, en silence. Introvertie, très sensible, elle se doutait déjà que des larmes seraient versées.
Les mots s’enchainèrent, simples, directs, sans tournure enfantine. La question semblait presque froide, alors que mes deux enfants bouillonnaient de curiosité.
J’ai reposé mon attaché-case, ma veste, pour m’asseoir face à elle. Et j’ai commencé à parler à mon tour. Tout d’abord, l’avertissement : « Ce que je vais vous expliquer doit rester entre vous et moi ». Elles acquiescèrent. Alors, j’ai repris le fil de l’histoire, de notre histoire. Je leur ai parlé de nous, de notre rencontre, de nos premières discussions. J’ai tu nos maladresses, nos quiproquos, tant au début nous n’étions pas sur la même longueur d’onde, puis je suis passé un peu vite sur ce premier baiser, dans la froideur des nuits alpines.
Lyvie est de suite intervenue et j’ai confirmé, c’est bien là bas que nous allons en vacances chaque été. Elle a sourit en t‘imaginant dans ce lieux qu’elle connaît bien. J’ai patienté que son sourire s’efface un peu pour reprendre. Sans m’attarder sur nos premières nuits, j’ai remis en scène ce dîner où, toi devant ton habituel tartare, moi devant ma sempiternelle raclette, tu m’avais proposé de venir vivre chez toi, comme ça, sur un coup de tête. Nous étions si jeune. Et tu semblais si pressé. J’avais accepté.
— Vous partez ?
La vitre ouverte laisse passer quelques gouttes. La moquette de la voiture séchera rapidement de toute manière. L’homme qui monte dans son véhicule me fait signe de prendre la place. Je me gare derrière lui, refermant la vitre, repassant ma veste avant de braver la pluie.
Un dernier coup d’œil dans le rétroviseur, histoire de vérifier mon maquillage, puis je quitte l’assise confortable pour affronter le vent et les énormes gouttes, qui ont tôt fait de me tremper.
Ses gouttes me rappellent les larmes des filles.
J’en étais aux jours où nous vivions dans un studio. J’étais enceinte. Tu enchainais les petits boulots. On s’en sortait chichement. Ça nous suffisait. Nous nous construisions un bonheur simple, anachronique.
Jusqu’à la maladie. Ta maladie.
Je n’ai jamais montré de photos de cette période. Les filles n’ont vu que tes sourires face à l’appareil photo, tes bravades à la montagne, tes mains sales lorsque tu revenais tard le soir. Aucune ne leur a présenté ta fatigue, ta souffrance, ta dégénérescence. Elles n’ont jamais vu la moindre image de ta chambre d’hôpital, de ce lit qui semblait grandir un peu plus à chaque visite, de ce corps qui rapetissait tant que je te voyais disparaître avant l’heure. Elles n’ont jamais su les larmes, les soins, les cris, la lutte, l’espoir, les opérations, puis la vérité, le choc, le renoncement, les bras entremêlés, les corps l’un contre l’autre, ma peau contre tes os, les dernières larmes, plus paisibles, mais si cruelles, et ton dernier souffle. Elles n’ont jamais rien su de tout cela, mais en quelques mots, elles se sont mises à pleurer, entre les mots, elles avaient tout compris.
Et je me suis mise à pleurer en retour.
— Madame Roll, me salue la femme à l’accueil.
— Bonjour.
Je lui montre mon smartphone où le logo de la boite brille.
— Votre abonnement arrive bientôt à terme, n’oubliez pas de le renouveler.
— Vous avez prévu une vente privée ?
— Pas que je sache. Mais avec votre ancienneté, nous pourrions vous faire un geste commercial. Dix pour cent je pense.
— C’est noté. Mon alcôve est prête ?
— Bien sûr.
La cabine. Notre cabine. La vingt sept. Vingt sept. L’âge maudit auquel tu t’es éteint.
Ensuite, les filles m’ont interrogée sur le centre, sur ce que j’y faisais. Là encore, je ne leur ai pas menti. J’ai juste amoindri la réalité. Je me suis contenté de leur présenter ça comme un lieu de souvenir, de recueillement. J’ai peut-être eu tord : à huit ans, on comprend tout, et je sais que leurs amis leur ont déjà parlé du centre, mais je ne pouvais pas leur révéler nos rendez-vous, nos discussions, nos moments volés à l’éternité.
Elles ont voulu venir, tu imagines bien. Mais elles sont trop jeunes, je trouve. Enfin je crois. Un peu plus tard, lorsqu’elles auront la maturité nécessaire. Et encore. J’ai vérifié sur le site, elles pourraient venir te retrouver avec mon autorisation, vous pourriez même avoir des moments privilégiés, juste ente vous, mais j’avoue que cette perspective ne m’emballe pas vraiment. J’aime ces pauses déjeuners où tu prends soin de moi, où nous pouvons nous remémorer de bons souvenirs, où nous pouvons retrouver un peu de nous.
Le logo de la boite scintille au milieu de l’alcôve.
Puis tu apparais.
Et je t’avoue tout cela.
En pleurant à nouveau.
Tu me rassures, comme seul toi sais le faire.
Tu m’assures que cela ne changera rien.
Et pourtant, ça a déjà tout changé.
Les filles attendent de te retrouver.
Et mon nouveau mari ne supportera pas de vivre dans ton ombre.
J’ai peur, si peur.
Si seulement tu étais vraiment là.
— Mais je suis là, conclus-tu, tandis que je pleure de plus belle.
Voilà, c’est fini. Un avis ? Un commentaire ? Un crachat ?
Ps : rendez-vous bientôt pour le défi @paindesegle
J’aime beaucoup l’idée, la technologie au service du sentiment, ambiance « Her », c’est très sensible et ça me parle.
Petite critique (il en faut bien quelques unes) : selon moi, tu devrais moins hacher tes phrases. Le but est de donner un phrasé parlé, mais de mon point de vue, ça ne fait que rendre la lecture plus pénible. Le lecteur fait lui-même ses propres pauses, donc je raccrocherais les wagons des phrases coupées et je virerais un paquet de virgules. 🙂
On me fait souvent cette remarque ces derniers temps. Il est vrai que c’est ma manière « naturelle » de raconter, et que quand j’aborde une nouvelle voix, je commence toujours ainsi, avant de creuser la vraie voix du personnage.
(On peut parler de mauvaise habitude finalement :))
Merci pour cette remarque, ce projet me fait énormément douter. C’est une vraie mise en danger, mais c’est aussi ça notre boulot 🙂