Depuis plusieurs années, un thème me tient à coeur. Je n’arrive toujours pas à le formaliser, à le planifier, mais j’ai une question, une envie. Alors je cherche, je creuse. A force d’insister, peut-être y arriverai-je.
Vous pourrez déjà me dire si ça vous parle… ou pas 🙂
## Avertissement : ceci est une fiction fictionnelle, sauf pour les parties véridiques. Fan, kiffez ! (ou pas) ##
« Entre dans la classe, assieds-toi, pose ta veste.
Mets toi à l’aise, détends toi, reste
En place, le programme enseigné n’est pas régi
Par les bons dires de l’éducation nationale, mon petit.
Pas besoin d’inscription pour participer à ce cours.
Il y a des blancs, des noirs, des jaunes, des riches, des pauvres
Sur ce parcours.
Nous parlons à tous le monde de la même façon.
Nous n’avons pas d’intérêt à diviser la nation.
Pas d’examen en fin d’année, pas de diplôme à gagner.
Simplement de la musique et des textes pour aider
A affronter les problèmes qui nous entourent. »
Entre dans la classe, Rockin’ Squat / Doctor L, in L’homicide volontaire.
Max fixe le ciel, la clope au bec. Il observe les nuages défiler avec lenteur. Ils ont l’air de rien les nuages, avec leur couleur terne, leur air pataud, mais mine de rien, on peut pas les stopper. Ils avancent quoi qu’on fasse. Ils sont, au fond, ce qui se rapproche le plus des idées. Max aime bien ce rapporchement, nuage / idée. Il lui fait se sentir intelligent. Non, intelligent est un bien grand mot. L’intelligence est suspecte, calculatrice, froide, il lui préfère le terme de « malin », plus sympathique, mieux connoté.
Ouais, Max se trouve malin, pour ça qu’il a un nombre de modules effarants sur son profil scolaire 2.0.
Le profil scolaire 2.0, cette merde mis en place y a 20 ans, quand l’Etat en pouvait plus d’entretenir des locaux, de payer des inspecteurs, des profs, des instits, des CPE, des pions, etc. Des experts sortis de nulle part ont balancé que le futur serait un apprentissage individuel, modulaire, virtuel. Quelle blague : donner à chaque gamin un espace de formation virtuel, mettre des vidéos en lignes, rassemblées en « module », compter les modules validés pour indiquer un niveau d’intruction, tout ça pour atteindre un emploi de type I, II ou III, sans jamais croiser un adulte, sans discuter, sans réfléchir sur le pourquoi, le comment, la finalité de tout ça. Se limiter à apprendre ce que ces experts mettent en ligne, s’en foutre que les gamins décrochent, limite s’en féliciter, en espérant qu’ils termineront dans les nouvelles usines bio, fleuront de la réindustrialisation et se contenter d’affirmer que oui, le profil scolaire 2.0 donne sa chance à chacun, que chaque gamin doit s’en montrer digne et saisir sa chance et clore ainsi tout débat parce que vous comprenez, on ne peut pas aller au delà de cette individualisation. Vitesse d’apprentissage, quantité, tout est au choix. Rien n’est imposé. Même plus l’écriture.
Max tire une latte et recrache doucement la fumée. L’individualisation. Le diable est dans le détail dit-on. Ici, il était dans cette volonté d’être au plus près de l’élève car au final, il n’a plus été question de se comparer aux autres. Etre bon, mauvais, moyen, qu’importe, puisqu’on est seul. Se faire des potes, se socialiser ? « L’école n’est pas un café », punchline du député Merléan. Un petit breton trapu. Qui s’était empressé d’ajouter : « nous remettons au centre du système scolaire la méritocratie, cette qualité républicaine in-dis-cu-table ! ».
La méritocratie résumée à s’assoir devant un écran pour se faire remplir le cerveau. Car les gosses sont comme des bulles qui glissent les unes sur les autres. Suivant leur profil, ils acquièrent un jargon spéficique, technique, ils ne parlent plus la même langue, ils ne s’ouvrent plus. Ils ont perdu cette capacité à prendre du recul, à se méfier, au final, à réfléchir.
Max regarde les nuages. Ils se suivent, se ressemblent et ils demandent jusqu’où ils iront, avant de déverser leur contenu et de disparaitre à jamais.
14 heures. La montre de Max sonne. Il est temps de retourner en « classe ».
Il se redresse. Le terrain de foot est vide. Derrière le grillage, y a bien une vieille qui sort son chien, mais c’est tout. Les pieds des tours sont abandonnés. Les voitures rangées en rang d’oignon pourrissent au soleil.
Max se dirige vers le batiment B, tirant ses dernières lattes. Avant d’entrer dans la cage d’escalier, il jette son mégot sur le bitume. Il zieute une dernière fois les nuages. Y a pas de vidéos sur les nuages. C’est pourtant important les nuages.
Max prend la direction des caves. Il pousse la porte et pris dans l’odeur du béton et de la poussière, il retrouve Khalid, Moussa et Diouf.
– S’lut.
– S’lut, répondent-ils.
Ils prennent la direction de la cave 17, la seule qui est ouverte, la seule qui est éclairée. Là, disposées en rang, des tables les attendent. Y a éjà une vingtaine d’ado assis qui patientent.
Tout au fond, un vieil homme les attend avec des livres d’un autre temps.
– Entrez, asseyez-vous et posez vos vestes.
Lui non plus ne croit pas au profil scolaire 2.0.
C’est pourquoi il leur fait cours « à l’ancienne ».
C’est pour ça qu’il est entré en résistance.
C’est pour ça qu’il est hors la loi.