Un livre salissant

Pas de couv. Ça ne le mérite pas. Mais un article tout de même. Parce que faut t’avertir toi, lecteur.

Après La France orange mécanique, je m’étais dit, Obertone, plus jamais ! J’avais compris sa manière de construire sa thèse, et j’avais trouvé ça sale.
Puis j’ai vu qu’il avait sorti un post apo.
Des post-apo, j’en ai lu. De Barjavel à … mince, j’ai oublié l’autre ; bref, j’aime bien. Un ami en avait même écrit. Mais qu’importe, je me suis dit, pourquoi pas ?
D’autant qu’Obertone a un certain style. Une manière de raconter qui prend aux tripes.
Et je l’ai lu.
Et voilà ce que j’en ai retiré : c’est un livre dangereux. J’explique pourquoi :

L’unicité des jeune de banlieues.

Ce sont des jeunes revanchards, qui forment un bloc unique. il n’y a pas d’adultes, de vieux, peu de femmes, quelques mères, des victimes, mais c’est tout. Dans ce fantasme, la banlieue est pleine de jeunes hommes en forme (finalement, pas de gros), musclés, drogués, musulmans, radicalisé(s), plein de haine envers la France, mais surtout les français, là encore, représenté comme un bloc unique. Deux blocs se font face. Seul figure qui diffère, le Russe, le puissant, le fou, qui tient tête à cette masse enragée, mais couarde un peu.
Ce qu’on retrouve ici c’est l’image de la bande de jeunes. Une bande, c’est un groupe, pourvu d’un leader, arborant un signe distinctif qui le représente des autres. Dans ce roman, l’un des leader à un turban. On peut pas le louper.
Bande, dans le Petit Robert, c’est un groupe d’hommes qui combattet ensemble sous une même bannière, derrière un chef. Ça explique le manque de femme. Bande, ça renvoie à voyous, voleurs, et par extension de sauvagerie, à la meute. J’ai pas relevé le champ lexical, mais aux pieds de la cité Taubira (sigh), la foule est compacte, sauvage, affamée. Elle est animale. Par opposition aux bien-pensants, civilisés, qui lui font face.
Historiquement, ces bande de jeunes, dangereuses, on les retrouve à la belle époque sous le nom d’Apache. Ce sont des groupes de jeunes du milieux ouvriers, en rupture avec le mode de vie structuré par la manufacture. À la fin des années 50 et 60, ce sont les Blousons noirs. Johnny est l’ancêtre du Jean-Rachid du roman. Dans les années 80, on parlait des Zoulous, qui étaient des descendants de l’immigration maghrébine et africaine des années 60, 70. Ces Zoulous kiffaient la culture Hip hop. J’étais donc un babtoulou 😀
En un mot, la population mise en scène dans ce roman est une terrible caricature, manichéenne, qui cherche à faire réagir le lecteur, à lui faire prendre conscience d’une fausse vérité.

Le mythe du grand remplacement.

Les jeunes des banlieues sont partout. Dans tous les coins. Ils attaquent sans distinction la capitale, Marseille, la banlieue, les villages. La police ne peut les contrecarrer parce qu’ils sont précisément trop nombreux. On les retrouve même au sein de l’armée, où ils font sécession.
L’idée de ce « plus nombreux », de ce soulèvement, c’est qu’enfin est venu le jour où ils chassent les français, comprendre, les blancs (oui parce que dans ce bouquin, les français ne sont que blancs, je vous avais dit que c’était manichéen).
On sent poindre le grand remplacement. On en entend parler grâce à Zeimmour, mais au fond, c’est quoi le Grand remplacement (d’ailleurs, y avait pas de petit ?).
Théorisé par Renaud Camus (pas sûr qu’il y ait un rapport avec Albert), l’idée est que la fécondité des immigrés (surtout venus d’Afrique et surtout surtout du Maghreb), tendent à devenir majoritaire sur des portions en expansion constante du territoire français métropolitain (tiens, un préjugé sur la fécondité des sous-développés, ça ne te rappelle rien ?). À terme, se passe une substitution de population.
Cette théorie suppose donc que :
– les immigrés qui posent problème sont surtout maghrébins. Quand c’étaient des espagnols ou des italiens on s’en foutait,
– ces immigrés font plein d’enfants ! Ils ne sont jamais stériles, ils ne s’adaptent pas (d’ailleurs tous ceux qui « croient » en le vivre ensemble, prennent cher dans le roman, pour bien montrer que non, c’est vraiment pas possible),
– ces immigrés ne seront jamais français : eux et leurs enfants vont remplacer les civilisés. Ils sont les barbares qui prennent possession de Rome. En un mot, y a rien à tirer de ces sous-humains.
Parce que oui, le grand remplacement, c’est un peu quand même l’idée qu’il y a eux et nous, qu’on est pas pareil, parce qu’on vaut mieux.
Classe hein ?
C’est raciste. Y a rien à ajouter.
Et ça me permet de rebondir sur le prochain point :

L’inefficacité de la civilisation face aux barbares.

C’est le fantasme de Rome, assiégé par les barbares. Une fois qu’elle sera conquise, se sera la fin. Les jeunes de banlieues sont des barbares. Pas d’éducation, ou si peu, mêlant français et arabe, dans une grammaire qui témoigne de leur faibles qualités intellectuelles, voire de leur handicap. L’idée est de mettre en scène leur sauvagerie pour bien insister sur le côté : ce ne sont pas des hommes mais des bêtes. La mise en scène est grossière et repose sur le même procédé que La France orange mécanique, à savoir : la multiplications de faits divers, d’aggressions, violentes, gratuite, choquantes, du bon bon bourgeois, de l’ado plein de rêve, qui espère le vivre ensemble, et même du président de la République, qui s’estime protégé par les institutions.
On nous montre bien que ces sauvages ne respectent rien. Ni personne. Même pas les retraités dans les villages, ni même les handicapés. Rien ne nous est épargné.
Plus que des sauvages, ce sont des non-humains, des bêtes. D’ailleurs, le seul moment où des enfants s’avancent, c’est dans cette scène avec le président. Ils sont plus décrits comme des animaux curieux que comme des êtres humains.

L’islam, religion unique des cités et tous radicalisés.

« La hausse du chômage stimule des réflexes xénophobes qui trouvent matière à s’exprimer avec l’afflux de milliers de réfugiés […]. Rappelons ensuite que les expressions anti[…] qui se manifestent […] s’appuient sur un fonds de stéréotypes et d’accusations bien connus qui vont s’exacerber. »
Oui, on parle ici des juifs dans les années 30. Mais quand même, même si comparaison n’est pas raison, on sent qu’il y a un soucis, un traitement à charge qui associe islam -> bande -> barbare -> remplacement -> islam -> bande etc
Donc dans ce roman, personne n’appelle à la paix, personne n’a une autre religion (sauf les civilisés qui vont brûler dans une église, parce que ce sont de bons catoliques blancs), mais pas de bouddhistes, d’hindouiste, de protestant. Non. Eux, ils existent pas. Parce que l’idée, c’est toujours d’opposer les bons Jedis aux méchant seigneurs Siths….

Au final, ce roman repose sur un cercle fantasmé, cercle qui sert de fondement à l’extrême droite pour créer, incepter, renforcer la peur. Il met en scène la pensée de l’extrême droite. Ses fantasmes. C’est pourquoi, pour moi, ce n’est pas un livre de fiction. C’est une oeuvre de propagande, profondément politique. C’est une oeuvre raciste. Comme pouvaient l’être les films de Goebbels.
Lire se livre, c’est renforcé certains dans leurs croyances délirantes.
Lire ce livre, c’est, si on est pas assez critique, se laisser prendre dans la toile de la haine.
Lire ce livre, c’est surtout salir son ghost…

Bref, lire ce livre, c’est vraiment pas une bonne idée. Préfère lui Barjavel. Au moins, il écrivait de la SF pour faire réfléchir, pas pour insuffler la haine.
Et oublie pas, vivre ensemble, c’est dur. Ça impose des concessions, des efforts d’empathie, de compréhensions, mais c’est possible. Et c’est même plutôt chouette.

Allez, la bise.

Webographie : 
Gérard Mauger, les bandes, le milieu et la bohème populaire https://sejed.revues.org/5142
https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_remplacement
les barbares, le début d’une nouvelle histoire : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2008-2-page-149.htm
L’antisémitisme dans les années 30 : https://www.cairn.info/revue-archives-juives-2007-2-page-110.htm

 

 

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