Les témoignages des objets

Il fut un temps où j’étais historien. Durant cette période, j’interrogeais les objets pour ce qu’ils pouvaient témoigner sur les femmes et les hommes qui les utilisaient, sur les pratiques qu’ils révélaient et sur le sens que ces êtres leur donnait. Un jeu d’échec pour un chef de guerre, une épée, une relique, ou n’importe quoi du quotidien.

Ces objets servaient de liens mémoriels entre le passé et le présent.

En vieillissant, je me rends compte que les objets portent un autre témoignage en eux. Ils sont comme des empreintes de ce qui fut et qui ramène dans le présent ce qui a été.

Vous pigez pas ?

Prenons un exemple :

Mon premier ordi. Je m’en souviens parce qu’on l’avait acheté à Boulanger et que le vendeur nous avait un peu dit que c’était l’avenir. L’avenir de quoi ? On en savait rien. Mais je me rappelle les heures passées à jouer de Rick Dangerous à Outrun en passant par Transartica (je crois). Ce premier contact avec cet objet revient chaque fois que j’en vois un dans un musée.

Un autre exemple ?

Dans le garage, j’ai mes vieilles boites de CDZ qui prennent la poussière. Je me souviens qu’en primaire, on jouait aux chevaliers dans la cour de récré. On reparlait des épisodes. On vibrait en les regardant. On trouvait ça dingue et excitant et chaque fois que je les vois, j’ai de nouveau 9 ans. Je repense aux potes de cette époque, désormais loin.

Dernier exemple ?

Celui qui m’a le plus marqué. qui contamine encore mon quotidien. Chaque fois que je le manipule, j’ai 17 ans. Je me rappelle des pizza, des dés, des potes, des semaines entièrement tournées vers le jeu, le lycée n’étant qu’une parenthèse entre deux parties.

On a tous des objets qui ramènent notre passé dans le présent. Et on a pour eux une profonde tendresse. Un attachement particulier. C’est peut-être pour ça que les japonais finissent par accorder une âme aux choses qui nous entourent, c’est peut-être grâce à cette relation temporelle et émotionnelle qui nous lie à eux que nous leur accordons tant d’importance.

Là vous me direz : très bien, mais où veux-tu en venir ?

Durant cette jeunesse, ce qu’on possédait avec une importance parce qu’on avait peu. On cristallisait nos sentiments autour de deux, trois trucs qui possédaient une véritable importance émotionnelle.

Depuis, je pense que moi et avec moi peut-être ma génération, avons peut-être construit une relation un peu exagéré aux objets. Au regard de ces objets mémoriel, nous collectionnons trop de livres, trop de jdr, trop de consoles, trop de jouets, trop de… Pour ressentir un bonheur que seuls ces objets premiers savent nous procurer. Ces nouveaux trucs nous font moins vibrer. Nous devons zapper. En acheter d’autres. Nous doper à l’acquisition en espérant tromper la profondeur du lien par la profusion du lien. Et finalement, peu de ce que nous acquérons maintenant nous fait réellement vibrer.

Dans mon cas, si j’achète encore autant de jeu de rôle – par exemple – ce n’est que pour convoquer ces souvenirs, soutenir le lien entre eux et moi. Leur matérialité, leur présence, agit comme un support. Et au fond, j’ai peur qu’on n’en possédant plus, mes souvenirs se perdent.
(Et en filigrane, qu’avec mes souvenirs, ce soit ma propre existence qui se révèle un inutile, truc impensable pour le meilleur écrivain de son village !)

Et là vous me direz : Non seulement t’es en mode tristitude mais en plus, on voit pas du tout où tu veux en venir !

Et je vous répondrai que par ce biais, je voulais parler de Releek. Dans ce roman, nos « objets doudou » sont détruits. Et par là, je casse le lien entre oeuvre de l’imaginaire et notre imaginaire. Je casse notre capacité à rêver mais aussi à ancrer des souvenirs profonds, incrusté par les émotions. Et au final, je fragilise l’émotion.

Parce que je pense qu’imaginaire, émotion et mémoire son intimement liés.

En fait dans releek, j’aborde une de mes peurs profondes… Cette peur de perdre ces précieux moments. De les oublier. C’est grave docteur ?

Allez, je retourne à ma relecture (et oui, encore, il me reste 30 pages pour terminer cette passe).

À bientôt.

Lilian

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