Inversion

– L’auberge ferme !
A ces mots, les habitués posent leurs chopes, remballent leurs histoires et referment leurs manteaux sur leurs corps abimés. Ils se saluent par de simples gestes, maladroits, imbibés, puis ils décampent, se jetant dans l’obscurité et le froid de ces nuits d’automne.
Restent là que l’aubergiste, et sa poignée d’amis.
– Alors Torak ? demande l’elfe. On y va ?
Torak l’aubergiste vérifie par les fenêtres que les ères ont disparu dans la pénombre de leurs vies. Puis il rabat le bloc porte et se tourne vers ses camarades :
– On y va.
Tous prennent place autour d’une table qu’ils nettoient rapidement. Torak, le dernier dépose de nouvelles pintes, avant de se positionner au bout.
– On en était où ? demande-t-il.
Aelis l’elfe retire ses gants décorés de poussière de pierre d’étoile pour se faire craquer les doigts. Mordred le magicien replace son grimoire sur sa protection de cuir, il la replie avec soin, avant de glisser l’ouvrage précieux dans son sac à dos. Puis il se saisit d’une pinte, heureux de se détendre enfin. Krim le nain se caresse la barbe, en signe de réflexion. Sa mémoire lui joue des tours ces derniers temps. Il a acheté un petit livret, sur lequel il inscrit des runes pour se rappeler ses tarifs, ses contrats, ses clients. Car pour un mercenaire tatoueur, oublier un litige peut mener à la fosse. Enfin, Erielle la dérobé, fait passer le contenu des petites bourses dérobées ce soir dans la sienne, suivant les pièces de cuivre glisser de l’une à l’autre, avec son regard plein d’avidité, auréolé d’une pointe de folie. Car elle ne peut s’empêcher de voler. L’acte lui procure un plaisir étrange, profond, malsain.
– Tu nous avais expliqué ton jeu, intervient Mordred, et nous avions commencé à écrire chacun notre histoire.
– L’introduction, soupire Torak. Un moment important.
– J’avoue ne rien avoir compris à nos héros… lâche Krim.
– Nous allons refaire un tour de table. Aelis, ton héros est un personnage qui détient de fabuleux pouvoir. Il possède une boite magique qui lui permet de tout savoir, partout, en tout temps. Elle le met également en contact avec la guilde de ceux qui possèdent ces boites, qu’on appelle les Nautes. Ce sont des sortes de demi-dieux qui ont érigé le savoir et la communication au rang de quasi religion.
– J’adore cette boite !
– Elle t’est plus chère que ta propre famille. Tu serais près à verser des coffres remplis d’or pour la conserver.
– Je me souviens, nous coupe Krim. C’est un fol qui cache sa boite sans cesse dans son manteau.
– Effectivement. Mordred, ton héros possède plusieurs baguettes de feu. Deux de petites tailles et une à deux mains, que tu dois poser sur ton épaule pour l’utiliser.
– Je suis un homme d’arme ! s’amuse le magicien.
– Tout à fait. Un mercenaire. Mais n’oublie pas : les baguettes de feu ont besoin d’être rechargées. Elles ne peuvent tirer que six coups pour les petites et huit pour la grande.
– Ces armes sont formidables ! Mais je n’ai pas d’armure…
– Elles sont trop puissantes : aucune armure n’arrête leur feu. Du coup, personne n’en porte plus.
– Il faut donc esquiver… C’est très risqué.
– Ça l’est. Krim, ta héros, puisqu’il s’agit d’une femme, est une soigneuse. Elle porte toujours une robe blanche et une mallette, dans laquelle se trouvent ses outils magiques. Elle sait réparer les os, recoudre la peau, calmer les fièvres…
– Je vous sauverai tous ! renchérit le nain.
– Mais n’oublie pas : pour bien prodiguer tes soins, il te faut de petites fioles…
– Des recharges pour la dague de soin. Un coup de lame et le liquide magique s’écoule dans leur corps !
– Oui. Mais un coup de dague léger… Enfin Erielle, tu as préféré rester sur un personnage un peu similaire… à…
– Un voleur.
– Voilà. Toujours propre sur toi, habillé par un costume de bourgeois de la ville, tu vas de conseil en assemblée, pour accroitre sans cesse les taxes et les impôts,…
– Que je détourne pour mon profit.
– Oui. Et tu t’attaques surtout aux pauvres.
– Parce qu’ils ne peuvent se défendre. Et je soudoie les riches, pour qu’ils me laissent exercer mes mauvais calculs.
– Voilà, conclut Torak. Tout vous est revenu en mémoire ?
Les quatre joueurs acquiescent.
– Alors commençons, nous sommes dans le futur, une époque lointaine, dans une ville qui s’appelle Paris. Les rues sont toutes pavées et des chariots sans cheveaux les parcourent sans bruit. Des maisons hautes comme des géants hébergent en leur sein de nombreuses familles. La ville grouillent de passants. Partout, des échoppes se partagent la ville : des tisserands, des meuniers, des forgerons. Au coin des rues, des bardes chantent avec leurs instruments fatigués, des prestidigitateurs accomplissent des tours, des maitres chiens font danser leurs plus belles bêtes. Tout ce petit monde souriant mendie de bon coeur. Que faites-vous ?
– Comment s’appelle les auberges dans ce monde ? demande Krim.
– Des brasseries.
– Commençons par là !

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