Homo superior 6

## Avertissement : ceci est une fiction fictionnelle, sauf pour les parties véridiques. Fan, kiffez ! (ou pas) ##

Rappel de l’épisode précédent :
Je suis né à Melun. Je suis un super héros. Enfin j’en ai les pouvoirs, mais j’en suis pas un. Je suis juste un mec dont la vie a basculé à cause d’eux.
Le Bac en poche, je me suis inscrit à la fac d’Evry. C’était pas la meilleure, juste la plus proche.
Je me souviens qu’on était à Evry 2,au KFC. On rigolait. Comme d’hab. Y avait Ahmed, Khaled, Mathieu et Aïsétou. Et là, y a eu trois gars qui ont crié dans la galerie. Ahmed, Mathieu et Aïsétou ont foncé voir. Je me suis levé à mon tour et j’ai couru pour les retrouver.
Khaled était là, juste à l’angle du KFC, sa tête contre le montant de restau, ses jambes de l’autre côté. Il était coupé en deux. Je voulais me vénère, serrer les poings, venger mon pote ou je sais pas, faire n’importe quoi, mais rien c’est passé. Je suis resté figé, chialant comme un môme.
Un des méchants m’a balancé : « Faudra te faire greffer des couilles un jour. »
Les autres se sont marrés et ils ont tous déguerpis rapidos.
Depuis, impossible de retourner à la fac. Impossible de trouver un vrai taf. Juste… Juste la vie qui passe quoi.

*
* *

Plus de Fac depuis six mois.
– Tu devrais je sais pas…
Trop jeune pour être chômeur.
– T’as regardé les autres cursus ?
Trop vieux pour se la jouer « l’enfant de la maison ».
– Tu peux pas rester comme ça…
Être enfermé dans une case qui n’existe pas.
– Mais tu vas répondre ?
Et se dire qu’au fond, j’ai toujours été dans cette case.
– Je sais pas Papa.
– Tu sais pas ? Tu sais pas ? Ah tu sais pas !
Et s’imaginer que peut-être, oui, peut-être, que je serai toujours dans cette case…
– Bin tu ferais mieux de le savoir, et fissa, parce que tu ne vas pas rester à rien branler !
Papa n’a jamais été vulgaire. Il déteste la vulgarité. Pour lui, la vulgarité, c’est le premier pas vers la violence, et la violence est ce qu’il exècre au plus haut point.
– Parce que tu crois que ça m’éclate ? je dis, un peu trop fort.
– Et moi à l’usine, tu crois que je m’éclate ? J’y vais pour remplir ton assiette, pour payer tes études, pour que tous tes futurs possibles soient à ta portée, pas pour que tu…
Il fait un signe de la tête pour désigner mon pétard, avec une drôle d’expression sur le visage, à la fois méprisante et haineuse, une expression que je lui connaissais pas.
– C’est juste pour… que je commence, sans trop savoir ce que je voudrais dire.
Il croise les bras, genre il attend que je termine le fil de mes pensées, pensées plus que brumeuses avec ce que je me suis dans le buffet.
– Juste pour ne plus penser, que j’avoue comme ça.
– C’est bien ça, ne plus penser, c’est constructif.
Je le connaissais pas comme ça : mordant, à l’affût du moindre argument pour me le rebalancer dans la tronche, agressif presque. Avant, c’était le genre super Papa, fait ce que tu veux, déconne pas trop et tout coulera. Là, quoi que je dise, quoi que je fasse, je lui tape sur le système, comme si ma présence dans la maison lui pesait, comme si en vieillissant, je lui avais déclenché une sorte d’allergie, ou d’irritation. C’est drôle de voir combien notre relation est passée d’amour enfantin, évident à ce face à face un peu dégueulasse.
– Tu me saoules, que je lui réponds sans réfléchir, justement.
Les mots qu’il devait me balancer meurent aux bords de ses lèvres. Ses yeux s’entrouvrent et d’un mouvement bref, il me gifle.
Papa
m’a
frappé.
Il détourne les talons et me laisse dans ma chambre, comme un con, les bras ballant et la joue rouge.
Je…
Papa
m’a
frappé.
Je n’arrive pas à y croire. Lui, se laisser aller à ça.
Lui, nos rires, nos jeux, nos discussions, les histoires le soir, les repas, les films devant la télé, blotti contre lui et cette réalité irréelle :
Papa
m’a
frappé.
Une sorte de colère monte. Mes poings se ferment et pour la première fois de ma vie, j’ai envie de le cogner. Et j’arrive plus à penser. Pourquoi ? Comment ? Je m’en fous. Je le supporte plus. Y a pas que lui qui a changé, y a pas que notre relation, y a moi aussi. Y a moi surtout.
J’attrape ma veste, mon pétard et je me tire. Direction dehors, sans destination, sans objectif, juste dehors, à profiter de la nuit, à marcher en regardant le ciel, à chercher parmi les nuages, cet espèce de salaud au costume rouge qui m’a pété mon avenir.
La marche, c’est un truc qui apaise toujours, un rythme lent, lancinant, qui permet de se recentrer. Et une fois recentré, pour vraiment se sentir bien, faut se désaxer. À coup de fumette. Ça permet de faire redescendre la pression, de passer à autre chose, d’oublier. Et là, d’atteindre un état propice à l’introspection, malgré la nuit qui tombe et les ombres qui marchent.
Je finis par me poser sur un banc place Saint Jean, devant l’énorme fontaine. Les bras sur le dossier, le nez en l’air, je scrute le ciel, à la recherche du moindre gars volant. Un de ces super héros dont on sait pas grand chose, vu qu’ils bossent en toute discrétion. C’est pas les states ici, les mecs se baladent pas en costume chelou, honteux, ils portent souvent un uniforme proche de ceux des flics. Le visage masqué, le badge et tout, une vraie section spéciale. Y a que les indés qui se déguisent pour se la jouer héros au grand cœur. Des gars qui ont trop lu de comics. Qui confondent leurs rêves à la réalité. J’ai fait des recherches dans les journaux. Celui qui m’a fait c’est un indé. Life qu’il se fait appeler. Life. Ce blaze. La honte quoi.
Refaire un joint. Arrêter de réfléchir pour un temps. Juste planer. Profiter du temps présent sans y être vraiment. Et voir les autres vivres leurs vies, en étant extérieur à tout ce fourmillement.
Puis rentrer.
Saluer les vieux.
S’arrêter quand Maman m’appelle.
– T’as eu un coup de fil.
– De qui ?
– Je sais pas. Il a laissé son numéro. Il a dit que c’était important.
– Hum.
J’attrape le numéro, le téléphone, et je me glisse dans le couloir, en faisant attention de ne pas trop tirer sur le fil. Je compose le numéro sur le cadran circulaire.
– Allo ?
C’est Aïsétou.
– C’est moi, je dis.
– On parlait de toi justement. Avec les autres.
– Hum.
– Tu pourrais nous rejoindre mardi ?
– Possible. Pourquoi ?
– On a retrouvé les mecs qu’ont… Enfin on va venger Khaled.
– Je suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
– Sûr que c’est une bonne idée. On peut pas laisser les mecs s’en tirer comme ça .
– Comme ça comment ?
– Les flics trouvent rien et de toute façon, même s’ils les chopent, il leur arrivera pas grand chose.
– Hum. Et tu proposes quoi.
– Une vendetta.
Vraiment, je suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
– T’en es ?
– Vite fait.
– Mardi mec. Au RER ?
– Mardi, que je confirme. Au RER.
Je raccroche le combiné sur la base, en faisant gaffe de pas entortillé le fil en forme de ressort. Puis je repasse dans le salon, repose le téléphone sur sa petite table. Je jette un coup d’œil à Maman qui me mate, attendant que je dise un truc.
– C’était un pote, que je lui dis.
Elle acquiesce.
Derrière elle, renfrogné devant la télé, se tient Papa. Il me jette même pas un regard. Mais le voir me fait penser aux nombreuses fois où il m’interdisait de me battre. Avec son adage : « Frapper c’est s’avouer vaincu ». Je trouvais ça profond, juste et tout. En repensant à Khaled, je me dis que se faire frapper c’est s’avouer vaincu, je me dis que mourir c’est s’avouer vaincu. Et je me dis que se venger, c’est sans doute pas une bonne idée. Mais je me dis que j’en ai pas d’autre. Que j’en ai plus. Et qu’au fond, pourquoi pas…
Le fameux mardi, j’ai pris le train genre l’air de rien. J’ai retrouvé le chemin de l’Essonne facile. Devant la gare, y avait Ahmed. Quand il m’a vu, il a souri. J’ai souri.
– Ça faisait un bail, qu’il m’a lancé, avec des reproches dans la voix.
– Comment va ? que j’ai répondu.
– Bien et toi ?
– Bien. Les autres ?
– On en parle en route.
On est monté dans sa 306 usée, direction la ville. Je connais pas bien les quartiers là bas, je m’étais juste contenté d’aller du train à la fac, de la fac à Evry 2 et d’Evry 2 à la gare. Le reste de la ville m’attirait pas plus que ça : ça ressemblait à un Melun en plus grand, en plus triste, en plus grave.
C’est dû moins ce que j’imaginais.
Et en parcourant ces avenues, je me rendais compte que j’avais raison.
Ahmed m’a tendu une casquette. Une vieille Adidas décolorée.
– Pour te cacher un peu le visage, qu’il m’a dit.
Il faisait chaud dans la voiture. Rien à voir avec le soleil ou le chauffage, c’était lui, son énergie, il bouillait littéralement. Il avait dû passer ses derniers mois à traquer les mecs du KFC, avec comme seul objectif de les griller sur place.
L’idée de voir ces gars grillés me faisait flipper. Mais elle m’apparaissait légitime aussi.
Dans les bds, tu vois toujours les gentils et les méchants se rouster gentiment. Y a pas vraiment de mort, ou si ça arrive jamais longtemps, dans la vraie vie c’est différent : tu essuies une rafale d’énergie, tu te prends un pic de glace dans le bide, ou un mec super fort de tèje une bagnole sur la cafetière, tu y restes mec, tu y restes. C’est la vraie vie de super. Pour ça qu’ils font pas les marioles en pyjama à tous les quatre coins de la rue.
– C’est quoi le plan ? que j’ai repris, en me roulant un joint.
– On la joue opération militaire. On débarque, on explose, on se casse.
– Je suis pas comme Mathieu ou Aïsétou, j’explose que dalle.
– Tu conduiras, qu’il me dit. Tu nous sortiras de là.
– Je connais pas le coin.
– Pas besoin, tu fileras tout droit jusqu’à la francilienne.
– Hum.
J’allume le pétard et tire une latte.
– Fait tourner mec.
– Celui qui conduit, c’est qui celui fume pas.
– Mes couilles !
Et il éclate d’un rire gras que je lui connaissais pas.
On a retrouvé les autres dans un Quick. J’ai jamais trop aimé les Quick, mais comme j’avais soif, je m’en suis contenté.
Puis on a débriefé une dernière fois.
Les mecs seront dans un appart à taper la console. L’appart est dans une tour pas loin, huitième étage droite. Un ascenseur, qui merde souvent. Des gars qui zieutent un peu partout. Ahmed a de fausses plaques pour la bagnoles, Mathieu des joggings, des gants, Aïsétou des BNs, pour l’après.
– Des BNs quoi, qu’il a confirmé en montrant un paquet parfum chocolat.
– Le mec tu lui parles de dézinguer des cailleras et il se pointe avec des BNs… a renchéri Mathieu.
– C’est important de bien bouffer, avait insisté Aïsétou, très sérieux.
Voilà comment on a pris la direction de l’immeuble, habillé en ninja à deux balles, armés de BNs.
Au fond, c’était un plan con, pour quatre cons.

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