Homo superior 5

## Avertissement : ceci est une fiction fictionnelle, sauf pour les parties véridiques. Fan, kiffez ! (ou pas) ##

Rappel de l’épisode précédent :
Je suis né à Melun. Je suis un super héros. Enfin j’en ai les pouvoirs, mais j’en suis pas un. Je suis juste un mec dont la vie a basculé à cause d’eux.
Le Bac en poche, je me suis inscrit à la fac d’Evry. C’était pas la meilleure, juste la plus proche.
Je me souviens qu’on était à Evry 2,au KFC. On rigolait. Comme d’hab. Y avait Ahmed, Khaled, Mathieu et Aïsétou. Et là, y a eu trois gars qui ont crié dans la galerie. On s’est tourné. Les cris ont résonné de plus belle et les clients autour se sont mis à courir. Ahmed, Mathieu et Aïsétou ont foncé voir. Je me suis levé à mon tour et j’ai couru pour voir ce qui se passait.
Khaled là, juste à l’angle du KFC, sa tête contre le montant de restau, ses jambes de l’autre côté. Il était coupé en deux. Je voulais me vénère, serrer les poings, venger mon pote ou je sais pas, faire n’importe quoi, mais rien c’est passé. Je suis resté figé, chialant comme un môme.
Un des méchants m’a balancé : « Faudra te faire greffer des couilles un jour. »
Les autres se sont marrés et ils ont tous déguerpis rapidos.

*
* *

Je voulais voir personne. Je voulais pas sortir. J’étais enfermé dans ma chambre à zapper, jouer, bouquiner, zapper jouer, bouquiner, la télé, la console, les bds.
Papa faisait les cent pas dans le couloir, j’entendais sa marche nerveuse, déçue, qui contenait une certaine violence. Maman venait m’apporter des assiettes de bouffe. Pâtes, riz, patates, pâtes, riz, patates, et de la viande. Je mangeais que la moitié de ce qu’elle m’apportait. Je grignotais des conneries le reste du temps. Des gâteaux, des bombecs, du chocolat, en un mot que de la merde. Mais je sais pas pourquoi, ça me filait l’impression de me requinquer, comme si le fait d’avaler des cookies me redonnait du courage. C’était con, mais y avait dans le sucre quelque chose de réconfortant.
J’avais reçu les courriers de l’université sans les ouvrir. Je me doutais qu’il y était question de partiels loupés, de rattrapage envisageable, que je comptais pas envisager parce que j’arrivais plus à réfléchir. J’avais le cerveau comme gelé, comme si le mec, dans la galerie marchande d’Evry 2, m’en avait arraché un bout.
Ce mec justement.
Les flics le cherchaient. Ils m’avaient interrogé cinq ou six fois, avant de lâcher l’affaire. Ils s’étaient rendus compte que je ne leur servais à rien, et au fond, que j’étais bon à rien. Quand je me rendais au commissariat pour répondre à leurs questions, y avaient des mecs qui me mataient avec un regard genre implorant, ils attenaient de moi que je me comporte comme un super, que je bombe le torse, que je leur affirme des conneries du type : « On va l’arrêter ce connard ! », tout sûr de moi, parce qu’ils avaient besoin de ce genre de modèle, pour avoir le courage de poursuivre leur taf de merde. Sauf que j’étais pas ce type de super. J’étais juste l’étudiant, le jeune en devenir, qui maîtrisait même pas bien son pouvoir. J’avais pas de courage, pas plus qu’un autre. Et ça les décevait. Je les décevais, et ils me le faisaient savoir. Par des chuchotements, des soupirs, des balancements de la tête, désapprobateurs. Et leur déception me rendait malade. J’avais moi-même jamais vu de super naze. Dans les films ou les bds, on voyait toujours des mecs super balaises, intelligents, capables de faire le bon choix au bon moment et qui, quoi qu’il arrive, gagnait toujours à la fin. Là, c’était la vraie vie. Y avait bien un super méchant, mais y avait pas de héros, et y avait pas de fin heureuse à l’horizon.
C’est là que j’ai compris que les flics étaient comme tout le monde : ils avaient besoin d’espoir. Nan en fait, ils étaient pire que tout le monde, à force d’affronter tout ce qu’ils devaient affronter, ils avaient besoin de plus d’espoir que quiconque.
Quand je rentrais à la maison, après les avoir déçu si fort, je m’effondrais sur mon lit et je pleurais.
Parfois, lorsque la colère d’être si nul me faisait me haïr plus que d’habitude, je frappais mon matelas, mon oreiller, comme un con. Pour me vider les nerfs. Pour… Pour évacuer ce que je ressentais.
Et je reprenais ma rengaine : zapper, jouer, bouquiner. Jusqu’au jour où Papa m’a engueulé genre vénère. Il avait ouvert la porte avec force, comme s’il avait voulu me gifler avec. Il portait toujours son vieux pantalon en velours et une de ses chemises ringardes, et malgré ses fringues un peu ridicules, je n’oublierai jamais son regard enflammé, qui m’avait tout de suite annoncé la couleur : il était pas là pour déconner. Après, je me souviens plus bien ces mots, mais je me rappelle de son intention. C’était un coup de pied au cul virtuel, virtuel parce qu’il était pas fou. Il voulait me remettre sur les rails mais sans en venir aux mains. Parce que j’aurai gagné.
– Change toi les idées, va bosser ! qu’il avait conclu.
Un conseil pas con. Sauf que sans diplôme, sans expérience, c’était loin d’être gagné.
Mais le vieux était malin, il s’était renseigné :
– Je me suis renseigné, il existe un truc pour trouver du boulot au super chômeur. Il y a aussi des super agences d’intérim. Tout ce qu’il faut c’est la super attestation et ta carte d’identité.
Malin je disais.
– Réfléchis-y. Tu ne vas pas rester dans ta chambre comme ça, prostré pendant des années.
C’était vrai.
Il avait jeté sur mon lit des prospectus puis il était ressorti, et de dos, je me rendais compte que son autorité n’avait rien à voir avec sa petite carrure, un peu usée. Non, elle venait d’un feu intérieur, de quelque chose en lui qui imposait le respect. J’aurai aimé posséder ça moi aussi.
J’ai lu les prospectus.
Puis je me suis rendu à la super agence d’intérim ou l’agence de super intérim, je me souviens plus. Ce truc, c’était une agence normale, de l’extérieur, mais où les boulots étaient destinés à des super en galère. Nan parce qu’on a beau être des super, faut bien payer ses factures, on est pas aux Amériques ici, y a pas de marchandising, de bds ou de films publicitaires qui permettraient aux supers de s’en sortir, et même s’ils existaient, ils ne concerneraient que les plus célèbres, les inconnus, les comme-moi, eux, ont droit à rien, tout juste à des boulots un peu chelou.
– Intéressant votre profil, m’avait dit la nana derrière son bureau.
– Merci.
– Votre pouvoir est actif tout le temps ?
– Ouais, c’est une sorte d’immortalité avec un bouclier… qui fait que je crains pas grand chose.
– Vous devez être un trompe la mort alors !
– Un quoi ?
– Vous ne craignez rien ni personne, avait-elle dit.
– Le fait d’avoir peur n’a rien à voir avec la survie.
Elle avait réfléchi à ce point, parce que visiblement elle s’était jamais posée la question.
Et tandis qu’elle réfléchissait, je devinais qu’elle aussi ressentait une sorte de déception.
– J’en ai un autre mais je l’utiliserai pas.
– C’est quoi ?
– Je l’utiliserai pas.
– Très bien, très bien. Voyons voir.
Elle avait attrapé une sorte de classeur énorme rempli de feuille A4, avec sur chacune une feuille de mission. Elle l’avait feuilleté pendant dix bonnes minutes, sans rien dire, prenant tantôt un air contrarié, tantôt une trogne négative, puis elle avait fini par s’arrêter sur l’une d’elles.
– On va faire simple. Vous êtes ponctuel ?
– Je crois.
Avec cette simple réponse, je m’étais retrouvé dans une situation improbable :
Centrale nucléaire de Fessenheim :
– Vous tombez à point : on a une fuite sur le second réacteur !
– Je suis juste venu livrer votre truc.
– Faut le déposer dans la salle là, pour colmater le béton.
J’avais remarqué les lumières rouges et les chants des compteurs Geiger.
– Vous déconnez ?
– Vous êtes immortel oui ou merde ? Alors foncez p’tit, foncez !
J’avais chialé ma race pendant plusieurs semaines, le temps que ma peau se refasse, une vraie horreur.
Puis en retournant à l’agence, la nana m’avait appris que j’avais pas bien bosser. Apparemment les gars avaient dû y retourner avec des combi et deux d’entre eux étaient morts. Heureusement, pour pas froisser les Allemands, le Président de la République avait caché cet incident. Efficace le gars.
La nana avait repris ces offres, et elle s’était contentée d’une nouvelle question :
– Vous n’avez pas le vertige ?
– Je crois pas.
Et là encore, la simple réponse m’avait value une petite surprise :
Centre d’essais en vol de Brétigny sur Orge :
– On teste l’éjection de ces nouveaux sièges à très haute altitude. Leur spécificité c’est qu’ils n’ont pas de parachute.
– Vous déconnez ?
– Nan, y a un système de microréacteurs qui est censé prendre le relai pour éviter que les pilotes se prennent les G de l’éjection, parce qu’ils ne peuvent pas les subir plus de trois fois.
L’avion conduit par un pilote au sol faisait vrombir ses réacteurs, j’entendais à peine l’ingénieur militaire.
– L’éjection c’est entre quatorze et vingt G, là on vise cinq ou six. Malgré tout, autant vous dire que vous allez être remué !
Et le cockpit s’était refermé.
L’avion avait décollé.
L’éjection avait eu lieu.
Quand le siège s’est crashé, j’ai eu plus de fracture qu’il n’y avait d’avion dans la base.
Là encore, j’ai douillé comme un malade pour une solde de misère.
Quand en retournant à l’agence de super intérim, fatigué par ces expériences, la nana me demanda si j’aimais les animaux, je sais pas, j’ai imaginé des dinosaures, des requins de ouf ou des grizzli berserkers, je lui ai gueulé dessus et je me suis cassé, retournant à la maison, prêt à affronter le regard de mon père.
Parce qu’après ces échecs, je m’attendais à me faire épingler, sauf que mon père ne me dit rien.
Il se contenta de ma taper sur l’épaule. C’était un geste de dépit, un geste de compréhension. Il avait jamais vraiment pigé combien j’étais un looser, là, il en prenait la mesure.
Maman me restait fidèle. C’est dingue combien une mère peut pas renier ses enfants. Je continuais à lui balancer quelques sourires de surface, qu’elle ai l’impression que moi aussi je tenais à elle, alors que j’avais en tête… Je sais pas, boire des coups avec des mecs de Melun, des normaux, qui me rappelaient qu’en dehors de ces putains de pouvoir, qui me servaient à rien, j’étais un mec normal, un ado mal barré mais normal.
On tisait à fontainebleau, un patelin bourgeois où quand y avait la fête de la musique, les dizaines de pubs ouvraient leurs portes pour cracher les paroles anglaises massacrées par l’accent français des tubes rock ricains, à grands renforts de grattes, de rifts et de crachins dû aux amplis mal réglés. On kiffait cette ambiance de bières, de nanas et de rock dégoulinant. On vomissait avec bonheur dans les caniveaux qui bordaient le château, c’était un peu la classe de vomir face à cette vieille bâtisse.
On y vivait des soirées mémorables, on avait même fait quelques courses de bagnoles sur la nationale qui menait de Fontainebleau à Melun, j’oubliais un peu tout, mon passé, mon présent et mon avenir, je me contentais de me détruire à petites doses, jusqu’au moment où je suis tombé sur Karl. Les autres étaient partis et j’avais tellement abusé que je m’étais arrêté une fois encore face au château. Je lui offrais un feu d’artifice alcoolique bien indigne de son histoire, mais très honnête au niveau des couleurs.
Karl.
La quarantaine, physique, coupe en brosse. Massif. Droit comme un i. Le regard plus dur que tout.
Karl.
J’étais en train de finir de vomir pépère lorsqu’il m’a alpagué.
– Hey mec, que j’ai dit, qu’est-ce tu branles.
– Je nettoie les rues, qu’il m’a répondu en me refoutant sur mes pieds.
J’avais du prendre cinq ou six pintes dans le rade irlandais, et deux mètres de téquila dans le machin mexicain de mes deux, y avait aussi eu un peu de shot après dans le truc à la mode et on s’était fini dans un dernier bar, très moche, genre bar de campagne plein de piliers de comptoir, rouges, difformes, en un mot j’étais tellement pas frais qu’une fois sur mes pieds, ces salauds de pieds m’avaient trahis. J’étais retombé comme une merde et Karl m’avait redressé.
– Je suis un peu… que j’ai commencé.
– Paumé.
– Pas vraiment non.
– Je t’assure que si. Rentre chez toi.
Il avait dit ça avec son regard dur, mais dur, que j’en avais baissé les yeux. Face à lui j’avais genre huit ans, six même, j’avais plus envie de l’ouvrir, je voulais juste rentrer et oublier cette nuit.
Puis il m’avait filé une carte.
– Appelle moi quand tu iras mieux.
– Je… Merci.
J’avais pris la carte. Je l’avais glissé dans ma poche.
Je la retrouverai plus tard, par hasard.

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