Homo superior 4

## Avertissement : ceci est une fiction fictionnelle, sauf pour les parties véridiques. Fan, kiffez ! (ou pas) ##

Rappel de l’épisode précédent :
Je suis né à Melun. Sur le parking des profs du collège, on parlait du Lycée avec des potes en sirotant des binouzes. Là, y a un truc enflammé qui est tombé sur le parking. Y a eu un fracas énorme, on a été soufflé. Moi surtout. J’ai roulé et je suis venu m’encastrer dans un lampadaire. La douleur m’a tout brouillé, mais ce que je me souviens, c’est qu’un mec s’est posé à côté de moi. Il portait des bottes rouges et un pantalon moulant de gymnaste. Il a posé sa main sur moi et après y a eu comme une chaleur.
— Madame, monsieur, le super coup de main qu’il a reçu a modifié son génome.
Maman a conclu :
— Mon fils, un super héro.
Au lycée y avait une ambiance lourde, mais ça allait. J’ai loupé mon bac, puis je l’ai repassé. Mais durant cette dernière année, je l’ai rencontrée. Elle. On s’est embrassé. Puis elle a disparu.
Le Bac en poche, je me suis inscrit à la fac d’Evry. C’était pas la meilleure, juste la plus proche.
Et c’était un mauvais choix.

*
* *

La fac d’Evry se trouvait pas loin de la gare de RER. Ce qui est pratique parce que je prenais le RER justement. Juste en face en fait. À sa gauche, y avait une église qui ressemblait à un gymnase. Les seuls détails qui indiquaient que c’était une église étaient cette croix noire, prise dans un assemblage de métal tout aussi noir qui la rendait presque invisible et de part et d’autre de cette croix, y avait des cloches. Des petites cloches noires. Je me souviens pas les avoir entendues, jamais. Peut-être que c’était juste de la déco. En face de la Fac, y avait Evry 2. Une énorme galerie commerçante pleine de magasins. J’y reviendrai. L’université était encore en construction. Je sais pas quand avaient commencé les travaux, mais c’était loin d’être fini. Ça filait à la fac une allure de zone chaotique. J’explique : y avait deux bâtiments, l’ancien et le nouveau, et au milieu devait être construit un troisième. En attendant que les pelleteuses s’en mêlent, les étudiants utilisaient l’endroit pour se garer. Y avait pas de bitume, que de la terre. Avec un truc pour limiter la hauteur des véhicules qui s’y garaient. L’entrée était la sortie et inversement. Je te raconte pas la file d’attente aux heures de pointe, ni le nombre de pains dans la gueule qu’il s’est échangé là. Et dès qu’il flottait, tout devenait boueux. Y avait des vieilles bagnoles pouraves qui se retrouvaient embourbées. Elles bloquaient la sortie et l’entrée, et là deux trucs pouvaient se produire : l’entraide ou la baston. C’est le premier endroit de ma vie où j’ai vu une baston générale dans la boue. C’était marrant, dégueu et effrayant un peu. Des mecs la tronche pleine de sang, crachaient de la boue et vomissaient au milieu des autres mecs qui continuaient à se puncher comme des turcs. Dingue.
Encore heureux que ça arrivait pas tous les jours. Mais quand même.
J’avais cours tantôt dans le vieux bâtiment, tantôt dans le neuf. Ça dépendait des cours, des profs, de leur renommée ou je sais pas. J’étais inscrit en super AES. Super Administration Économique et Social. Un truc pour devenir un bureau-man, pour se planquer dans l’administration, une filière pour ceux qui savaient pas quoi faire et qui au fond, voulaient pas faire grand chose. Parce que c’est pas parce qu’on est des supers, qu’on sait plus que les autres ce qu’on veut foutre de notre vie. Avoir un pouvoir, ça rend pas l’orientation plus facile. Au contraire : on est plus limité.
Bref, à Evry, on était mélangé aux autres étudiants, qui nous observaient comme des bêtes de foire. Du coup, y avait parfois des tensions. Mais rarement de la castagne. Faut être sacrément débile pour fritter un super quand on est un normal. Du coup, notre statut nous protégeait. Ce qui nous rendait peut-être plus fainéant que les autres.
En super AES, j’avais des cours de compta, de droit, c’était dans le vieux bâtiment. J’avais aussi des cours d’économie, d’histoire économique, dans le nouveau bâtiment.
Dans l’ancien, les parties communes étaient occupés par des étudiants assis par terre, qui écoutaient leur walkman, discutaient, jouaient au tarot ou révisaient. Y avait des distributeurs de boissons et de bombecs, pétés depuis longtemps. Les couloirs étaient tagués. Pas de trucs méchants, des signatures souvent, ou des slogans. Les salles de classe étaient usées. Difficile de dire si c’était la faute au temps qui passe, qui abime tout, ou aux élèves du coin, qui déprimaient les murs. Parce que les gars avec qui j’étais étaient loin d’être des lumières. Ils venaient des quartiers du coin et ils pointaient à la fac pour s’occuper. Ils avaient pas d’objectifs, pas d’ambition. Ils avaient même pas de temporalité : pour eux, seuls le présent existait. C’était des mecs chelous, des jeunes fatigués de la vie, des paumés nonchalants, qui au fond étaient pas si loin de mes potes du lycée. Pour ça que j’m’étais fait des potes rapidos.
Dans l’immeuble neuf, tout semblait propre, immaculé, comme si le bâtiment savait pas à qui il avait à faire, il était encore jeune, plein d’espoir et il nous accueillait les étudiants désabusés avec une bienveillance qu’il perdrait au fil des années, parce qu’il ignorait encore combien leur souffrance d’errer sans but se retournerait contre lui.
Parce que fallait pas se voiler la face : les gars perdaient leur temps, ils avaient cru au mirage du diplôme pour l’emploi, et voilà qu’une fois le bac en poche, ils découvraient qu’on leur avait menti, que le plus important n’était pas le nombre derrière le bac +, mais l’adresse du quartier où ils avaient grandi, où ils vivaient, et l’accent qu’ils y avaient chopé. Cette découverte les rendaient aigris. Et pour les plus désespérés, dangereux. J’y reviendrai aussi.
Y avait des nanas, pas mal de nanas même. Mais aucune m’attirait vraiment. Mes potes par contre passaient leur temps à chasser. Le moindre jean moulant, le débardeur le moins tendus déclenchaient chez eux des pointes hormonales qui les rendaient pire que des animaux. Pire parce qu’ils avaient cet instinct reproducteur qu’ont les animaux, mais en plus con. Parce que la drague les rendait con. Ils étaient lourds, gauches, relous. N’empêche que des fois ça marchait. Parce que les nanas faisaient preuve de patience et de compréhension : elles pigeaient qu’ils étaient pas si cons, que c’était juste temporaire, parce qu’ils savaient pas s’y prendre, ou parce qu’ils savaient trop s’y prendre. Et souvent, y en a qui flashait sur moi. Tout ça parce que j’étais moins relou, moins affamé. Elles prenaient mon indifférence pour du mystère, et le mystère, ça leur plaisait ; ça attisait leur curiosité. Why not. Mais je m’en foutais. Je repensais sans cesse au baiser volé dans les rues de Melun. Je repensais à elle. Elle avait disparu peu après sa démonstration. Elle avait plaqué le lycée. Dur à croire parce qu’elle était pas mauvaise. Devait se passer des trucs dans sa vie.
Je l’ai pas encore dit mais elle se faisait appeler Charly. Son vrai nom, je le garde pour moi. Pour le moment.
Bref, la semaine, j’allais dans cet endroit incroyable, qui s’inscrivait dans la suite même du lycée. Et le week-end, je poursuivais les bringues commencées au collège. Sauf que le sky avait remplacé les bières, les pétards les cigarettes, le Rap le Métal.
Parce que c’était la grande époque du Rap : Iam et son micro d’argent, Demain c’est loin quelle chanson ! NTM vite fait, Assassin, qui nous récitait dans L’homicide volontaire ce qu’on avait appris pendant le Bac super, Arsenik, pour qui Quelques gouttes suffisaient et 2 bal 2 neg dont la Vie de chien était devenu l’hymne à la maison tout comme à la fac.
Mes relations avec mes vieux avaient changé. Papa et maman voyaient mes soirées d’un mauvais œil. Ils kiffaient pas mes nouveaux copains, pas plus qu’ils kiffaient quand ils venaient me chercher le samedi soir et que je revenais le dimanche après midi, encore vaseux.
Maman s’inquiétait.
Papa voulait me rouster, pour me remettre sur le droit chemin, comme son père lui avait fait à mon âge.
J’attendais que ça.
C’est difficile de revenir sur cette époque parce que je détestais mes parents, alors que je les avais aimés avant. Y avait eu genre de basculement, et je leur en voulais d’avoir niqué mon destin pour des questions de thunes. Nan parce que j’aurai pu aller dans l’école privée, suivre une filière plus sympa, avec des supers meilleurs, j’aurais pu finir super héro quoi. Au lieu de ça…
Au lieu de ça j’étais à Evry.
C’était mon choix, mais malgré tout, je sais pas, j’avais une impression de vague injustice. Je sentais que tout était mal barré, et au lieu de m’en vouloir, d’être franc avec moi-même, je leur en voulais parce que c’était plus facile. Mais plus ingrat. Et injuste aussi.
Le jour où j’ai tout plaqué, je m’en souviens encore. Avec les potes, on avait pris l’habitude de squatter à Evry 2. Y avait des boutiques de fringues, de jeux vidéos et y avait ce KFC où on passait nos heures de sèche, parce qu’on séchait pas mal vu qu’on détestait la compta, les cours de stat et le droit, quelle horreur le droit !
Bref, on était au KFC, comme d’hab quoi. On rigolait. Comme d’hab. Y avait Ahmed, Khaled, Mathieu et Aïsétou, qu’on vannait souvent en disait que ces vieux auraient du l’appeler Aïetusaisq’dalle. On bouffait même pas, juste on se vannait quoi. Et là, y a eu trois gars qui ont crié dans la galerie. On s’est tourné. Les cris ont résonné de plus belle et les clients autour se sont mis à courir. Ahmed, Mathieu et Aïsétou ont foncé voir. Tain j’te jure, ils ont pas eu le temps de faire un pas à l’extérieur du KFC qu’ils sont pris des décharges d’énergie en pleine gueule. Ils ont volé sur genre, cinq mètres en arrière, avant de retomber comme des merdes, le torse encore fumant.
Khaled était un speeder. Il a bondi pour pécho les gars avant qu’ils le voient venir. Sauf que devait y en avoir un aussi dans la bande et je sais pas, j’ai pas trop pigé, y a eu des hurlements, je me suis levé à mon tour et j’ai couru pour voir ce qui se passait. Difficile, je te jure, difficile. Khaled là, juste à l’angle du KFC, sa tête contre le montant de restau, ses jambes de l’autre côté. Il était coupé en deux. Mais il était pas mort. Il pleurait. Il m’a regardé et je peux pas expliquer pourquoi mais je me suis mis à chialer. J’ai pas pu bouger. Juste relever la tête pour voir les trois mecs. Trois supers pourris qui venaient de faire un casse. En me voyant minable, ils ont hésité à me dézinguer. Pi l’un d’eux leur a fait signe de le faire. Il s’est approché et à coller son nez à cinq centimètres du mien. Je voyais pas bien son visage, tout était flou à cause des larmes. Il a souri et il a dit aux autres : « Rien à craindre de celui-là. »
Je voulais me vénère, serrer les poings, venger mon pote ou je sais pas, faire n’importe quoi, mais rien c’est passé. Je suis resté figé, chialant comme un môme.
Le gars a éclaté de rire et m’a lancé un : « Faudra te faire greffer des couilles un jour. »
Ses potes se sont marrés et ils ont tous déguerpis rapidos.
Je suis resté seul, à côté de Khaled, à genoux.
Quand les flics ont débarqué, j’ai eu droit à une tétrachié de questions. J’ai surtout eu droit à des regards bien accusateurs, et des chuchotements assez forts pour que j’entende qu’on me chiait sur la gueule.
La police m’a ramené à la maison.
Maman pleurait.
Papa faisait les cent pas.
Quand j’ai ouvert la porte, ils m’ont pris dans leurs bras.
Moi, comme un con, je les ai repoussés pour m’enfermer dans ma chambre.
J’ai pleuré une nouvelle fois, la tête farcie des regards noirs et des chuchotements assassins.
Pi j’ai vu les billets que m’avait refourgués Charly. J’ai repensé à sa trajectoire. C’est si rapide de déconner quand on est un super, si irréversible. C’est si facile de pas assurer, de merder, de mal tourner, que je me sentais pas les épaules de le devenir vraiment. J’en avais pas le courage. J’en avais pas l’envie. Je comprenais pas pourquoi c’était tombé sur moi, pourquoi il avait fallu que ma vie prenne cette direction merdique, comme ça, alors que j’avais rien demandé.
Y a eu des coups de fil, d’Ahmed, de Mathieu et d’Aïsétou, pour l’enterrement. J’y suis pas allé. Je pensais à Khaled, à son courage, à la manière dont il s’était levé pour intervenir. Je pouvais pas faire face à son cadavre, je pouvais pas faire face à ma propre honte, ni faire face à cette peur qui m’avait scotché. Et pi fallait retourner à Evry et j’en avais pas le courage non plus. J’avais encore peur. C’est bizarre qu’une fois tout terminé, la peur reste vivante comme ça, qu’elle s’éternise. Pour ça que j’ai  jamais eu le courage de retourner à Evry et qu’aujourd’hui encore, je fais tout pour pas m’en approcher.

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