Philippe Lépinard m’a demandé si mon rôle de formateur avait influencé ma conception des Chiens de Béhémot.
Au début, je me suis dit : « Bien sûr que non ! »
Puis, j’ai réfléchi. J’ai analysé les choix qui s’offrait à moi lors de la conception. en prenant du recul, beaucoup de choix proviennent du groupe avec lequel je joue, mais pas que. Petit retour sur mon exemple de création d’un jeu de rôle.
Un jeu de rôle repose sur plusieurs éléments qui s’entremêlent : l’univers, le système, les rôles. Passons les en revus.
1/ L’univers
L’univers définit le contexte du jeu. A quel époque, à quel endroit, quel est le contexte politique, quelles sont les factions en place, quels sont les belligérants et finalement, qu’est-ce que vont jouer les joueurs.
Il peut s’inspirer d’une oeuvre littéraire, d’un bd, d’un film ou être inventé totalement par son auteur, ça n’a pas d’importance. Il peut aussi être une transformation d’un univers existant (on va jouer les méchants !). Là encore, ça n’a pas vraiment d’importance.
Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont l’univers va être créé et comment il va évoluer. On pourrait noter ça de la manière suivante : $Univers [Origine] [Évolution]. Cela donne ça :
- l’univers fixe fixe : il s’agit de l’univers le plus classique. L’univers est fixe à la création, et il le restera. Il est définit dans un volume ou un chapitre dédié, on parle alors de Background. En général, le Maitre du jeu le lit, s’en empare et va l’utiliser pour y placer ses aventures. Les joueurs peuvent le lire, tout ou en partie, ou préférer le découvrir pendant le jeu. Les joueurs pourront bien sûr faire bouger des éléments de l’univers, ils pourront même en devenir des piliers importants (seigneur, président, commandant de vaisseau, etc), mais leurs personnages intégreront le background en remplacement des PNJs historiques insérés au début de la partie.
- l’univers fixe variable : il s’agit cette fois d’un univers dans lequel le cadre est fixe, mais plus lâche. L’univers va être décrit de manière succincte, tel un pitch, et les joueurs vont participer à sa création. Ils pourront définir des éléments du background (une secte, une religion, un consortium, etc), ils pourront jouer avec ses éléments et le MJ improvisera avec ses nouveaux éléments. L’univers est donc en perpétuel co-construction, tant que les propositions des joueurs respectent le pitch de base. Dans ce contexte, un même univers de base pourra évoluer vers des univers différents suivant les joueurs qui le pratiquent. On peut retrouver ici
- l’univers variable fixe : Il s’agit cette fois d’un jeu dont l’univers est créé au moment de jouer. L’univers n’est plus un contexte figé dans lequel les joueurs vont évoluer, mais un contexte aléatoire qui va être tiré au sort, un peu comme leur personnage, ou décidé par l’ensemble des joueurs (MJ compris). Une fois la décision prise, l’univers se figera et les joueurs pourront évoluer dedans comme s’il s’agissait d’une partie classique. Dans ce cadre, un même jeu pourra se développer dans des univers différents. Le jeu possédera autant d’implémentation qu’il existe de tables qui le pratiquent.
- l’univers variable variable : Cette fois, l’univers est en perpétuel co-construction. De la conception du cadre, jusqu’à son utilisation au cours du jeu, MJ et joueurs se partagent l’évolution, l’approfondissement, la torsion de l’univers au regard des actions des joueurs et de leurs impacts jaugés par le MJ. Rien n’est fixe, tout bouge, dans ce cadre, aucune table ne jouera vraiment au même jeu.
J’ai peu de temps à consacrer à la création de l’univers.
Ce manque de temps exclu la partie variable X : la co-création de l’univers est chronophage. De plus, elle nécessite d’expliquer aux joueurs le système de création de l’univers, elle peut s’ouvrir sur des négociations et elle engendre une part plus importante d’improvisation du MJ. Au final, les origines variables sont plus exigeantes pour tout le monde.
J’ai peu de temps à consacrer aux parties.
Passé un certain âge, il est difficile de demander aux joueurs de venir fréquemment, d’y passer tous leurs week-ends et leurs vacances. Une partie dure entre 45 minutes et 3 heures. Il fait savoir aller à l’essentiel. Dans ce contexte, il est difficile de demander au joueur de s’occuper de leurs personnages, de leurs aventures et de l’univers.
Le risque ici est de provoquer une surcharge de travail récréative, un burn out ludique ou plus simplement, un décrochage.
La facilité de prise en main.
Je cherche à concevoir un jeu utilisable par tous, c’est à dire le plus facile à prendre en main. Plus les joueurs ont moins de chose à prendre en main, plus l’expérience de jeu est simple au démarrage, plus est la rapide, plus grande est la chance de les capter pour les focaliser sur l’essentiel, à savoir l’expérience de jeu.
Au final, le choix du type d’univers dans un contexte limité en temps est le fixe fixe.
Fixe fixe ne signifie pas forcément étendu : un village, une région peuvent suffire.
Pour accélérer encore plus l’aventure, une aventure de petite taille, des personnages clefs en main peuvent venir en renfort.
Dans mon cas, mon univers est spécifique. Il s’agit d’un monde fantasy, avec elfes, nains, orcs, etc. Tous les peuples sont en paix et il est interdit de s’affronter. Partir de ce point là va engendrer une modification du système et des rôles endossés par les joueurs.
2/ Le système
L’utilité du système de jeu : la résolution d’action
Dans un jeu de rôle, les joueurs interprètent des personnages. Ces personnages évoluent dans l’univers. Ils vont accomplir des actions. Monter à cheval, combattre, construire une maison, combattre, lancer un sort, combattre, pirater un serveur quantique interdimensionnel et… combattre.
Le système de jeu va permettre de déterminer si ce que le personnage tente est réalisable et s’il parvient à accomplir son action. Réussite ou échec, conséquences de cette réussite ou de cet échec, voilà son utilité.
Sur Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Mécanisme_de_simulation_dans_les_jeux_de_rôle#Les_mécanismes_de_simulation,_composantes_du_système_de_jeu ) , les choses sont un peu plus précise :
» Pour résoudre ces actions incertaines, les jeux définissent des règles faisant généralement intervenir le hasard sous la forme de dés, mais pas toujours. Ceci permet d’éviter l’arbitraire de la part du meneur de jeu, et introduit une part de suspense qui est un des intérêts du jeu. D’une manière ou d’une autre, tous les systèmes — avec ou sans hasard, avec ou sans dé — se réduisent à un principe de base :
comparer la qualité de l’action (le personnage est-il brillant ou bien maladroit dans les circonstances données) à la difficulté de l’action.
La qualité de l’action et la difficulté de l’action sont en général évalués soit par un nombre, soit par un type de dé, parfois par un qualificatif — typiquement « faible/mauvais », « moyen », « fort/bon » pour la capacité du personnage, et « facile », « moyen » ou « difficile » pour la difficulté de l’action.
Le système prévoit comment on évalue la difficulté et la qualité de l’action (choix du nombre ou choix des dés jetés), en général en fonction de trois facteurs :
- la difficulté intrinsèque de l’action, par exemple si l’on veut crocheter une serrure, certaines serrures sont plus complexes que d’autres ;
- l’environnement (matériel adapté, conditions météorologiques, éclairage …) ;
- la capacité du personnage.
Cette capacité est souvent composée de trois facteurs :
- l’être, ce qu’est le personnage, s’il a l’esprit vif, une bonne constitution physique… ceci est en général représenté par des grandeurs appelés caractéristiques, par exemple la force, l’habileté, la rapidité, la volonté, le charisme, l’intelligence, la constitution…
- l’acquis, ce qu’a appris le personnage, son entraînement, son expérience… ceci est en général représenté par des grandeurs appelés compétences, qui représentent les actions spécifiques comme combat à l’épée, serrurerie, équitation…
- l’état du personnage : son état de fatigue, son état de santé, si ses capacités sont altérées (améliorées ou dégradées).
Les chiffres ou dés définissant le personnage (caractéristiques et compétences) sont parfois appelées les « statistiques » du personnage. »
Voilà, c’est plus précis, mais ça revient à dire : la règle du jeu c’est une manière de dire au jouer, ce que tu vas tenter, c’est facile ou difficile, tu peux réussir mais sous certaines condition.
De la règle du jeu, au système de règles, aux mini-jeux
Le jeu de rôle est un jeu de société et à ce titre, il possède une règle. Mais là où les jeux de société possèdent une règle fixe, établie, partagée par l’ensemble des joueurs, le jeu de rôle propose lui un ensemble de règles, un système de règles.
Ce système est en réalité un ensemble de mini-jeux.
Le plus remarquable est le système de combat : à l’origine, le jeu de rôle est né d’une évolution d’un wargame. L’un des premiers mini-jeux développé est le système de combat. Peu importe l’époque, l’univers, le type de système, le jeu de rôle possède toujours un système de combat particulier. Gestion de l’attaque, de la défense, de l’esquive, et derrière gestion de la capacité à encaisser un coup, à y survivre, avec des points de vie ou des degrés de blessures, il existe plusieurs système de combat.
Le nombre de système sur ce point spécifique attire l’attention sur le lien entre l’univers et les mini-jeux : l’univers impose un ambiance et cette ambiance influe sur le système. Le système peut alors être réaliste, punitif ou au contraire rendre les joueurs invulnérables.
Suivant l’univers, différents mini-jeux vont être mis en place : un pour gérer la magie, un autre pour simuler le piratage dans la matrice, un autre pour mettre en scène des super-pouvoirs ou des pouvoirs psychiques, etc.
Il est important ici de comprendre l’influence de l’univers sur ces mini-jeux : plus il y aura d’éléments susceptibles d’être manipulés par les joueurs, plus il y a de chance que ces éléments soient gérés par un mini-jeu spécifique. Plus l’univers va orienter le jeu vers une ambiance, plus cette ambiance pourra être gérée par des mini-jeux (comme la santé mentale dans l’Appel de Chtulhu ou les crasses dans le DK, les schticks dans Feng Shui).
On pourra donc écrire cela sous la forme $Univers [Élement] [Mini-jeux] et $Univers [Ambiance][Mini-jeux].
Système complexe ou système léger
Pour répondre à l’ambiance ou au nombre d’éléments à mettre en place, le système peut être plus ou moins complexe. Il peut être plus ou moins précis. Il peut chercher à encadrer le moindre détail ou au contraire à laisser le soin au MJ etx aux joueurs de trouver eux-mêmes les solutions.
Par exemple un système de magie va lister tous les sorts disponibles, va donner les conditions pour les lancer et va préciser leurs effets. Un autre système préfèrera proposer aux joueurs une magie plus libre grâce à laquelle ils forgeront leurs propres sorts et en décideront la puissance, l’étendu ou l’utilité.
Ça pourrait donner comme différence :
$Univers [Magie] [Sort niveau 1] [Nom_sort] [Effet(s)],
ou
$Univers [Magie] [Élément] [Effet(s)].
De la même manière un système pourra se contenter de demander un jet sous dextérité pour chevaucher une monture. Un deuxième nécessitera un jet sous Equitation. Un dernier demandera plusieurs jets conditionnels, suivant le chemin, la vitesse, la déclivité, le stress du personnage qui monte le cheval.
Ça pourrait donner comme différence :
$Univers [Action] [Compétence] [Spécialisation_éventuelle] ,
ou
$Univers [Action] [Caractéristique].
On voit que le système complexe est plus précis là où le système léger possède une arborescence plus légère.
Conséquence, qui n’est pas des moindres, le livre d’un jdr au système léger sera vraisemblablement plus léger que celui d’un jdr au système complexe. Il pourra dont coûter moins cher. Vous pourrez plus facilement le confier à vos joueurs, sans redouter qu’ils le tâchent avec leurs pizzas…
Dans l’absolu, il n’y a pas de bon ou de mauvais système : un système complexe ou léger peuvent provoquer une forte expérience de jeu. Tout dépend des joueurs, de leurs goûts et du temps qu’ils peuvent investir dans le jeu. Car un système complexe nécessite souvent plus de temps à prendre en main qu’un système plus léger. Toutefois, un système complexe peut être utilisé pour se protéger de l’arbitraire du MJ. Au MJ de ne pas oublier pourquoi il est là.
Système fixe ou système co-construit
Le système est d’ordinaire défini dans le livre des joueurs. Au travers de quelques pages sont présentés les mini-jeux, leur fonctionnement, des exemples, etc.
Existe-t-il des règles co-construites ? Je ne sais pas.
Le respect du système
La spécificité du jeu de rôle est que contrairement à d’autres jeux, le système peut être tordu, modifié voire ignoré pour le bon déroulement du scénario.
Dernier point : le concepteur d’un jdr à le choix entre un système générique et un système dédié. Choisir un système générique, l’adapter, est une solution qui permet de gagner du temps. Certes le système sera moins influencé par l’univers que pourrait l’être un système dédié, toutefois, choisir un système connu permet d’accéder plus rapidement au jeu.
Face à tant de réflexions, et devant le manque de temps de jeu, j’ai privilégié un système existant, celui de Donjon&Dragon 5, un système connu, qui peut s’alléger facilement, qui est fixe et qui propose des mini-jeux élégants. Plus facile à prendre en main, il m’a permis aussi de modifier quelques paramètres : j’ai modifié quelques points comme les compétences, qui venaient empiéter sur les rôles des joueurs, j’ai réécris entièrement le système de magie, car cette dernière ne me satisfaisait pas, j’ai changé le rôle de certaines caractéristiques pour leur donner plus d’importance.
Au final, c’est du D&D5 modifié.
Oui, je suis feignant…
3/ Les rôles dans le jeu
Le joueur joue un personnage. Ce personnage est un individu qui est spécifique, qui possède des attributs propres. Cette singularité lui permet d’avoir des forces et des faiblesses. Ces spécificités vont le mettre tour à tour en situation d’aisance ou en difficulté durant le déroulé du scénario. Pour parvenir à franchir toutes les difficultés qui vont lui faire face, il va devoir coopérer avec d’autres personnages qui vont venir gréer un groupe équilibrer. Autrement dit le jeu de rôle va mettre en place une coopération importante entre les joueurs.
La définition du personnage à sa création : entre inné et acquis
Le jeu de rôle propose souvent une gestion de l’inné et de l’acquis.
- L’inné provient de l’origine du personnage, de sa naissance. Il est souvent représenté par les caractéristiques. La Force, la Constitution, etc. Il s’agit de valeurs qui peuvent être choisies (en cas de répartition) ou tirées au hasard. Elles permettent à la fois de détourer le personnage (est-il fort, endurant, dextre) et de définir une partie de ses capacités, ou plutôt, elles donnent une orientation au personnage : un homme peu musclé mais rapide pourra devenir guerrier, mais cela modifiera son style de combat.
- L’acquis est souvent le résultat d’un entrainement. Il est souvent représenté par des compétences. Ces compétences peuvent être listées de manière exhaustive ou partielle, elles peuvent être définies par le système de jeu ou au contraire être proposées/inventées par le MJ et les joueurs. Quoi qu’il en soit, elles rendent compte de ce que le personnage a appris depuis sa naissance. Il s’est entrainé, il est devenu compétent.
L’inné et l’acquis ne sont pas que des valeurs : ils sont intégrés dans un ou plusieurs mini-jeux permettant de résoudre les actions des joueurs. « Jet sous caractéristique » ou « Jet sous compétence » sont fréquemment utilisé.
Un autre mini-jeu, qui découle de ces deux premiers, est la gestion de l’expérience :
La spécialisation et l’interdépendance durant la progression
J’en reviens à Wikipédia : « La notion d’expérience regroupe à la fois l’expérience de la vie (appréhension d’une situation avec recul, gestion du stress, stratégie), l’expérience professionnelle (prise en compte de situations vécues) et l’entraînement (affinement des capacités de mémorisation et de réflexion, assouplissement des muscles, augmentation de la rapidité, de la force).
Cette notion d’expérience est en général synthétisée par des points, cumulés au fil des aventures en fonction des actions effectuées ; ces « points d’expérience » peuvent ensuite être « dépensés » pour augmenter des capacités (compétences en général, caractéristiquesdans certains jeux). »
Ces augmentations successives de capacités ou les gains de capacité lors d’un passage de niveau vont venir renforcer la trajectoire du personnage. Il va se renforcer, tout en augementant sa dépendance aux autres membres du groupe.
Du personnage au groupe : la coopération et la somme des différents rôles
Le jeu de rôle définit donc des personnage différents, dépendants les uns des autres. Cette dépendance devient palpable grâce aux objectifs ludiques : tous les joueurs ont comme objectif commun a minima survivre, au mieux, accomplir la mission/aventure/campagne. Grâce à cet objectif commun, les joueurs vont devoir communiquer et prendre des décisions partagée. Définissons ça :
- L’objectif commun est le premier élément qui créé la coopération : les personnages vont vivre des aventures. Ils les vivent ensemble. J’attire l’attention sur le fait que si les joueurs sont au même endroit physique pour jouer, rien n’oblige les personnages à faire de même. Ils peuvent très bien partir dans tous les sens pour mener chacun des aventures spécifiques. Ce qui fait que les personnages restent groupés tient au scénario (et donc par extension au MJ). Le scénario va proposer une aventure avec un objectif (sauver quelqu’un, voler quelque chose, protéger un village d’une menace, confondre un politicien corrompu, etc).
- la communication : le jeu de rôle est un jeu synchrone (tous les joueurs jouent en même temps) et souvent en présentiel. Il s’agit pour les joueurs d’utiliser le dialogue, les silences, parfois ils se passent des petits papiers ou s’en vont discuter loin de la table, en un mot, ils ne cessent de communiquer activement. Verbal ou non-verbal, ils passent leur temps à livrer leur avis, jauger les actions, décrire ce qu’ils font, etc. C’est là un point très important pour la mise en place de la coopération, mais la communication ne suffit pas,
- la prise de décision partagée : chaque joueur durant le scénario va devoir choisir ce qu’il va faire et il va devoir accomplir des actions. La prise de décision partagée permet d’affecter une tâche au personnage qui correspond à cette tâche. Exemple : le voleur pourra crocheter une porte, le hacker pourra s’attaquer au système de sécurité d’une voiture. Pour que cette prise de décision amène une coopération active, il faut que les personnages disposent de facultés, de pouvoirs différents. Ainsi, chacun aura son « moment de gloire »
J’aimerai revenir sur la prise de décision partagée. J’ai parlé « d’affecter une tâche au personnage qui correspond à cette tâche »
Le rôle de chacun
Nous avons vu que chaque personnage possède une spécificité. Que ce soit une classe ou un ensemble de compétences.
Quand je regarde Les jeux OSR ou les premières éditions de Donjon&Dragon, on retrouve les trois ordres médiévaux : ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent. Sauf que les paysans ne sont pas forcément intéressants à jouer. Ou peut-être que les voleurs sont une certaine forme de réminiscence des paysans (les pauvres, les proto-gilet-jaunes). On ajoute fréquemment ceux qui étudient (les magiciens). Au final on se retrouve avec 4 classes de base : ceux qui volent, ceux qui soignent, ceux qui étudient (qui magient) et ceux qui frappent. Les autres classes étant des évolutions des unes et des autres, plus ou moins spécialisés, plus ou moins mélangés.
Dans un jeu type Shadowrun on retrouve un peu ces fonctions (ceux qui tankent, ceux qui piratent, ceux qui négocient, ceux qui conduisent des drones ? ceux qui manitou, etc). Dans l’appel de Chtulhu également (ceux qui meurent ?).
Pour résumer : donner aux différents joueurs ces fonctions différentes permet de les placer en situation de coopération. Ils vont devoir s’entraider pour atteindre un objectif.
Mais ces fonctions possèdent un autre rôle.
Je pense à ces 4 types de joueurs (proposé par Richard Bartle en 1990 dans un contexte de jeu en ligne). Je cite (http://www.lagamification.com/sadapter-aux-differents-types-de-joueurs/) :
- Les Killers (ou Tueurs) cherchent avant tout à affronter les autres joueurs croisés dans le jeu.
- Les Achievers (ou Accomplisseurs) se donnent pour but finir le jeu le plus vite possible, terminer toutes les quêtes, accumuler les pièces d’or ou les objets rares.
- Les Explorers (ou Explorateurs) sont plus intéressés par le monde dans lequel ils évoluent. Ils visitent toutes les régions de la carte et cherchent les passages secrets.
- Les Socializers (ou Sociables) tendent à interagir avec les autres joueurs et à jouer de manière plus “ role-play ”. C’est à dire à agir en accord avec l’univers du jeu (Pas de “ wesh, lol, tavu ” dans leurs conversations dans un monde médiéval, par exemple). »
Les fonctions proposent aux différents types de joueur différents rôles à tenir.
L’objectif est que chacun puisse endosser un rôle qui correspond à ses affinités pour prendre du plaisir durant le jeu.
Le mapping de base pourrait donner :
- Killer -> Guerrier
- Achiever -> Voleur
- Explorer -> Magicien
- Socializer -> Prêtre
Oui, c’est pour aller vite et c’est très discutable. Mais ça témoigne de quelque chose : les joueurs n’attendent pas tous la même chose lorsqu’ils jouent.
Alors, cela n’entrave en rien les surprises : on pourra se retrouver face à un magicien « killer » ou un guerrier « socializer » mais pour un joueur débutant, le choix se portera naturellement sur le le rôle qui lui parlera le plus.
A ce propos, dans les parties que j’ai mené, le choix se porte souvent sur le guerrier parce que ce dernier possède le moins de mini-jeux possible : pas de compétences spécifiques, pas de gestion de magie, pas d’ordre ou de hiérarchie. Ce n’est que dans un second temps que les joueurs expérimentent les autres profils.
Ça me laisse penser que si un personnage possède une trajectoire grâce à son expérience, le joueur en possède une aussi au travers du jeu : il progresse, le maitrise de plus et va chercher à repousser ses propres limites.
4/ Et mon boulot dans tout ça
Dans l’univers que je construis, les joueurs jouent des monstres qui enquêtent sur des crimes. Un chevalier occis un orc, une mine de gobelins a été « nettoyée », un sorcier vient d’être décapité, ils sont embauchés pour comprendre le mode opératoire, traquer les fautifs et les présenter aux autorités.
Comme dit plus haut, pour aller vite, je suis parti sur un univers cadré, immobile :
$Univers [Fixe] [Fixe]
Le système repose sur du D&D5.
$Univers [D&D] [5]
Ok. Restait les rôles.
Les rôles présentés dans D&D5 ne me convenait pas. Quel rôle donner à celui qui tape ? Quel rôle accorder à celui qui prie ? Le magicien encore, pourquoi pas mais ensuite ? Et les autres classes ? Étant toutes plus ou moins construites autour du combat, il m’a fallu casser leur paradigme de construction pour repartir de zéro.
Casser le paradigme de base
Nouveau paradigme de base : « les personnages ne seront pas taillés pour le combat mais pour l’enquête ».
Une fois dit cela, comment créer des classes d’enquêteur ? Quelles facultés leur accorder ? Quelles spécificités leur donner ? Et comment créer de l’interdépendance comme vu plus haut ?
Définir ce qu’est une enquête pour obtenir les classes
La première étape a été de consulter les sciences forensiques. L’idée était de définir l’acte d’enquêter, les grandes étapes, la séquence de ces étapes.
Après quelques recherches je suis parti sur ces rôles :
– celui qui interroge,
– celui qui fouille,
– celui qui analyse,
– celui qui interpelle.
De là j’ai voulu repartir sur les profils de joueurs :
- Killer -> celui qui interpelle
- Achiever -> celui qui analyse
- Explorer -> celui qui fouille
- Socializer -> celui qui interroge
Y avait donc un mapping qui ressemblait peu ou prou aux classes de base.
En y réfléchissant, est-ce qu’une enquête peut être menée sans une de ces fonctions ? A priori non. L’interdépendance semble se justifier.
Une fois ces grandes fonctions validées, il a fallu mettre en oeuvre les mini-jeux : un mini-jeu d’interrogatoire, un mini-jeu de fouille, un mini-jeu d’analyse et un mini-jeu d’interpellation.
Puis une fois ces mini-jeux définit, il a fallu se pencher sur leur évolution durant la progression du personnage.
Vous voyez que je ne suis pas si feignant que ça ! :p
Au final, c’est un gros travail qui nécessite de multiplier les play tests pour équilibrer les mini-jeux et les classes entres-eux pour favoriser la coopération.
En conclusion
Mon rôle de serious game designer m’a peu orienté dans mes choix : je suis parti d’un univers qui me tenait à coeur, d’une ambiance que je souhaitais créer et j’ai pris en compte les difficultés de mes joueurs (difficultés organisationnelles pour beaucoup).
Ces difficultés, beaucoup les partagent.
Alors, ce jeu conviendra-t-il à tout le monde ? Difficile de le dire.
Mon rôle de serious game designer m’a toutefois servi dans la conception des classes : analyser des procédures, les décortiquer, transformer ces étapes en classe puis accorder à chacune des spécificités en vue de promouvoir la coopération. Finalement, mon job m’a un peu servi.
Est-ce que grâce à cela je suis en train de concevoir un bon jeu ? Difficile de le dire.
Seules l’épreuve des playtests validera ou pas le jeu.
Pour aller plus loin
Si je souhaite utiliser un jeu de rôle dans une formation demain, vais-je en créer un juste pour l’occasion ? Vais-je reprendre toutes mes réflexions pour accoucher d’un nouvel outil ?
A priori non. Je partirai davantage d’un jeu commercial mais je tablerai sur un scénario spécifique. Ce dernier devra mettre en scène les éléments pédagogiques que je souhaite mettre en avant, de manière métaphorique ou explicite suivant les objectifs. Par exemple, pour travailler sur la sécurité informatique, mettons en scène un piratage dans l’univers de Shadowrun ! S’il s’agit de management, partons sur une mission dans D&D5. Gestion du stress ? Idem. S’il s’agit de mettre en avant du savoir être comme l’écoute, la négociation, la prise de décision partagée, là, tous les jeux de rôle pourrait faire l’affaire.
Tout l’enjeu, lorsque l’on part trop dans la métaphore ou dans le jeu, sera de ramener l’expérience au contenu pédagogique de la séquence.
Et là, ça sera pas de la tarte.