– Allô, Stéphane Bourgoin à l’appareil !
– Stéph, c’est Lilian Peschet !
– Lilian Peschet du JDR Mag ?
– Ouais, mais tu vas me faire rougir. Appelles moi ianian.
– Okay ianian, que me veux-tu ?
– Bin voilà, j’ai lu ton livre, et je suis fan quoi. Je pourrai t’interviewer ?
– Pas de problème, passe à la librairie, on causera autour d’un café.
– Vendu lulu ! dis-je en accusant les années 80 d’être les responsables de cette expression honteuse. Elle se trouve où ta librairie ?
– Au 37 rue de Montholon, dans le IXe.
– J’attrape mon nécessaire et j’arrive.
Je glisse donc dans ma besace – et pas mon sac à main comme ceux du fond le supposent – mon cahier de note, mon stylo noir et mon dictaphone, au cas où l’énergumène parle trop vite. Ensuite, vif comme l’éclair et souple telle une mante religieuse affamée, je me faufile sous les portiques du métro, esquive les contrôleurs et me jette dans la rame comme un Zatlan accomplissant une tête plongeante tonitruante – on se demande vraiment pourquoi on me m’invite plus au foot (private joke inside) – je m’assois et attends la fin du voyage.
Quelques stations, un escalator, j’arrive au 3e oeil, une librairie qui n’a rien à voir avec Tenshinhan. J’en passe la porte et lance un salut à la cantonade, interrompu par l’introduction d’une aiguille dans mon cou.
Tout tourne.
Plus rien.
Je me réveille dans une cave parisienne, ligoté, le dictaphone en marche.
Face à moi, sur une chaise, un mec un peu chevelu, un peu barbu, avec un peu de bidon, tire sur ses liens. Ses pieds et ses mains sont maculés de sang.
– Kitétoi ? lui demandé-je en bûcheron tout juste tiré des limbes.
– Jacques Fuentealba. Et toi ?
– Lilian…
– Le bûcheron des Carpates normandes ?
– Ouep. Et toi, de Jason et Robur ?
– Ouep.
– Ils sont pas un peu…
– Ils sont frères !
– Non mais un peu…
– Ils sont frères !
– Okay… Qu’est-ce qu’ont fou là ?
C’est à cet instant que retentit un rire horrible. Stéphane. Plein de haine. Hurle dans un mégaphone :
– Tu pensais m’avoir bûcheron ! Je sais que tu es un serial killer ! Vous êtes tous des sérial killer !
– Que nenni ! intervient Jacques.
– Ouais… comme lui, dis-je.
– Vous ne l’êtes pas hein ? reprend Stéphane.
– Non ! crie Jacques. Je suis un auteur !
– Non, m’écrié-je à mon tour, je suis un… auteur / bûcheron bi classé !
– C’est ça, vous mentez !
– Non ! hurl-t-on ensemble.
– Prouvez-le ! Toi tu l’interviews, et toi tu réponds avec sérieux !
– Non mais je comptais pas interviewer Jacques…
– Faites, où je vous butte ! Seriaux killers !
– Okay…
C’est donc apeuré et désemparé, et ligoté un peu aussi, que j’ai posé la première question…
— Interview de Jacques Fuentealba —
Est-ce que ça va ?
Je suis un peu paumé… tu t’appelles Jacques ou Ouroboros ? À moins que vous ne soyez deux dans le même corps… Ou que ce soit ton frangin le véritable auteur, et que tu l’aies enfermé dans ta cave en terre battue, avec un casque de fer sur la trogne et que… Alors ?
On fait aller !
(Je vois bien qu’il tremble. Il cherche comment repartir dans une réponse convaincante)
Marrant que tu me poses cette question du nom… ! Lorsque j’étais un membre actif du défunt forum du tout autant défuncté fanzine Borderline, on avait eu droit à un débat sur le thème : pseudonyme ou pas pseudonyme ? Je m’étais positionné plutôt contre, alors que pour d’autres cela semblait très important de pouvoir garder l’anonymat au moment de publier leurs œuvres. On avait même eu un participant sporadique de notre petit espace d’expression horrifique qui était parti en vrille totale. C’était assez marrant, mais plutôt incompréhensible pour moi. Puis, à peu près à la même époque où le forum a périclité, ainsi que la plupart des autres fora du milieu de la SFFF, j’ai rejoint Facebook (oui, je sais, il y a sûrement un lien entre la désertion des fora et la fréquentation croissante du réseau social number one). Et là s’est présenté un dilemme que plus d’un auteur de micronouvelles a pu expérimenter… Devait-on mélanger complètement ses productions et sa vie privée, avoir des statuts qui fleuraient bon l’autofiction à la Chevillard, jusqu’à s’y perdre soi-même et devenir comme – oh, quelques millions de facebookeurs ! – complètement mytho ?
(je sens qu’il va partir en cacawuète)
Quand tu écris une micronouvelle comme :
« CONNIVENCE ET MÉTAMORPHOSES. Les oiseaux qui avaient mangé les miettes du Petit Poucet étaient de mauvais aug(u)res. »
ça va, tout le monde comprend que tu ne racontes pas ta vie. Mais ce n’est pas le cas pour des short short stories du genre :
« Pour connaître tout à fait l’Homme et ses humeurs, je choisis la solution la plus simple. Lui faire l’amour. Goûter sa salive, sa semence, ses larmes de joie puis de terreur. Pousser plus loin l’exploration, déguster son sang, mais ça ne suffit pas. Je poursuis l’expérience, avide, tandis qu’il refroidit, je m’enhardis. Se repaître de sa lymphe, fouailler son cadavre, le récurer jusqu’aux os jusqu’à sucer sa moelle, m’étonnant devant chaque courbe du gros intestin, chaque petit amas de graisse, tendon, ganglion. Et chercher en vain les vingt et un grammes, uniques. Où diable cache-t-il donc son âme, l’Homme ? »
(Il tremble, il bave, sa diarrhée verbale s’étale et Stéphane tend dans notre direction un 357 Magnum, il faut le faire atterrir)
Là, on peut se demander légitimement si tu es taré, pervers ou les deux, quand on n’est pas préparé et qu’on lit ça sur ton mur.
Pénélope Labruyère, qui avait repris le principe d’une série de micronouvelles que j’avais lancée sur Facebook et qui commençaient toutes par « Au bord du gouffre », m’a par exemple rapporté qu’à chaque fois qu’elle postait une de ses micronouvelles, au demeurant très sombre, forcément, elle avait droit à des coups de fil de ses proches ou des commentaires inquiets sur son mur ! Certains étaient persuadés en lisant ses posts qu’elle était à deux doigts de se suicider…
– Oui mais non ! tenté-je pour couper court. Tu trouves pas que…
À partir du moment où j’ai décidé que j’allais publier de la micronouvelle sur Facebook, plutôt que faire ça dans mon coin sur un blog que personne ne lisait, j’ai créé mon compte facebook.com/ouroboros.ebe (EBE étant pour « the End is the Beginning is the End »). Cela me servait aussi plus largement de lieu d’expérimentation littéraire et de communication sur mes publications, ma présence sur des salons et autres, mais je ne voulais pas une page « auteur » (parce que j’ai toujours trouvé le principe même d’une page auteur con et tartignole). L’idée, c’était de pouvoir offrir quelque chose de plus à d’éventuels lecteurs et à mes amis – avec et sans parenthèses – que de simples statuts assommants, variations limitées du classique « achetez mon bouquin ». Il y avait derrière la création d’un compte dédié à la micronouvelle l’idée perverse de forcer mes contacts à lire mes textes. C’est un piège : les yeux se posent sur ton statut et hop, avant qu’ils aient le temps de se fermer ou de se détourner, voilà qu’ils ont lu ta prose ! Je suis machiavélique !
Au départ aussi, j’ai traduit pas mal de micronouvelles de José Luis Zárate et Santiago Eximeno afin de les faire connaître au public français.
Et le choix du nom ? Ouroboros ? C’est tout simplement parce la toute première série que j’ai publiée portait sur le personnage de l’Ouroboros. Ça me semblait un choix idéal pour terminencer.
Autrement, mes deux… euh, trois frères vont bien. On reparlera de l’un d’entre eux très bientôt dans cette interview. Et aucun ne squatte ma cave, vu qu’il n’y a plus de place. Les cadavres des derniers connards qui m’ont fait chier avec des questions à la con y sont pendus et n’ont pas encore fini de sécher. Ça te convient comme réponse ?
(Je suis catastrophé. Stéphane est à deux doigts de nous exploser la tronche et sa première réponse vient de saturer mon dictaphone. Et finalement j’ai un doute : n’est-ce pas une stratégie ?)
Qu’est-ce que c’est ce truc ? (Peux-tu nous présenter Jason et Robur ?)
Les Formidables Aventures de Jason et Robur : Journalistes Extra-Dimensionnels™®© est un roman-feuilleton de science-fantasy qui se présentera sous forme de séries, publiées chez Walrus et – possiblement – chez un autre éditeur pour le format papier. Les deux premiers épisodes sont déjà publiés chez le célèbre Morse numérique, le troisième est dans les tuyaux à l’heure où je vous parle écris et le quatrième ne devrait pas tarder à sortir.
[ENCART PUB] À noter, cher lecteur avide de bons plans, que le premier épisode, comme toujours pour les séries chez cet éditeur, est gratuit. File-donc le télécharger, ici, par exemple :
http://librairie.immateriel.fr/fr/ebook/9782363762207/jason-et-robur-1-malheur-au-vaincu
[FIN DE L’ENCART PUB]
Il s’agit d’une œuvre assez ambitieuse pour moi, dans le sens où j’essaie d’expérimenter des « trucs », de me mettre un peu en danger en abordant des thèmes qui ne me sont pas trop familiers ou que j’ai pu laisser de côté dans mes autres textes, de jouer sur les points de vue, d’essayer de surprendre, étonner le lecteur, de développer à son paroxysme mon penchant pour le bizarre, l’absurde et le loufoque… Tout en produisant au final des épisodes à peu près lisibles !
Pour être plus précis quant à l’histoire elle-même, je présente dans la première nouvelle un duo de journalistes extra-dimensionnels, Jason et Robur, l’un holographe l’autre rédacteur, qui se trouvent aussi être frères. Ils travaillent pour Mondes parallèles, une revue dirigée par Sébastien Martin qui réalise des reportages à travers l’univers entier. Chaque épisode se déroule en général sur la période de réalisation d’un de ces reportages, mais ne constitue pas le reportage en lui-même.
(Cette fois sa réponse est fluide et adapté. Nous trouvons un rythme presque pro, Stéph se détend)
Comment est née cette série ? Quelle a été sa genèse ?
À l’origine de la toute première nouvelle, une illustration de mon frère Roland, prévue pour le fanzine Mondes parallèles. C’était en 1995. Le fanzine en question avait eu comme idée de proposer à ses auteurs d’écrire un texte d’après une illustration d’un de leurs dessinateurs. L’illustration de Roland, à l’époque en noir et blanc (et qui sert aujourd’hui de couverture à Big Bang à Astrahal, livre-jeu chez Walrus) était pour moi un défi, du fait d’un certain nombre de détails complètement incongrus. Je partais donc sur l’écriture d’une nouvelle assez décalée. Et comme je voulais pousser le vice jusqu’au bout et jouer avec le rapport que nous (Roland, moi, le lecteur…) entretenions avec le réel, je décidais de nous mettre en scène ainsi que Sébastien Martin, le rédac’chef du fanzine, à travers une mise en abyme fantasmagorique, plutôt que de faire une nouvelle de fantasy « toute bête ». Le texte a finalement fait l’objet d’un hors série, publié en format A5.
Là, je parle donc de la genèse d’une nouvelle.
Il n’a été question de série que bien plus tard !
(La pointe de suspens fonctionne : Stéph range son flingue et commence à nous écouter vraiment)
J’ai en effet soumis ce texte à Walrus début 2011, je crois (ou peut-être avant) dans le cadre de la préparation d’un éventuel recueil, lequel deviendra par la suite La Boîte de Schrödinger, saison 2. Julien Simon écarta quelques textes et se montra très enthousiasme quant à Malheur au vaincu et une autre nouvelle… Qu’il écarta tous deux. Dans un cas comme dans l’autre, il me conseillait d’exploiter ses vastes univers dans le cadre de feuilletons. Il y avait là matière à écrire beaucoup de textes et développer un sacré background. Il est vrai que les possibilités offertes par Malheur au vaincu ! sont virtuellement infinies, on peut imaginer à peu près n’importe quoi comme mondes (et comme reportages).
Je m’attelai donc à la rédaction de 3 autres nouvelles, en me réjouissant (et en paniquant aussi) à l’idée de me lancer dans un nouveau projet dont certains thèmes et ambiances s’éloignaient beaucoup de ce que j’avais écrit jusqu’alors. Chaque fois que je finissais une nouvelle, je mettais le premier jet entre les mains de ma femme et de Julien. Et c’était l’angoisse, jusqu’à ce qu’ils l’aient lue et m’aient rassuré : « Oui, ce texte est lisible ! » En vérité, sans fausse modestie, je dois dire que l’un et l’autre m’ont à chaque fois fait des retours très positifs en me poussant à écrire la suite !
(Le mec qui parle à l’oral au passé, c’est juste la claaaaasse, mais ça fait un peu saigner les oreilles de notre geôlier. Recadrons encore un peu)
Des inspirations particulières et inavouables ?
Hmmm. Voyons voir. Il s’agit de science fantasy, il y a une réflexion en filigrane sur la nature même de l’univers, sur l’identité, une débauche de super-pouvoirs et du bourrinage apocalyptique dans l’épisode 4… Oh, wait! Mais c’est bien sûr, ça fait penser à Zelazny tout ça. Et à Philip José Farmer, par certains côtés aussi. Je pense avoir inconsciemment louché vers Fredric Brown et Robert Sheckley (et non, Pratchett n’est pas une de mes sources d’inspiration, je n’ai lu qu’un seul de ses bouquins !) pour la dimension humoristique de la série. De façon plus ou moins consciente aussi, j’ai présenté une technologie avec un design, un cachet rétrofuturistes. C’est surtout Julien qui a souligné ça après avoir lu les premiers textes, j’ai accentué cela par la suite. On trouve ainsi par-ci par-là des hommages sous forme de clins d’œil à une certaine SF un peu surannée.
Il doit y avoir d’autres inspirations, mais là, à froid, je ne vois pas trop…
(On le tient ! Il est à nous, il nous écoute ! Je vois Jacques réussir à tirer discrètement une main de ses liens)
Pourquoi une série plus qu’un roman ?
En fait, c’est un roman-feuilleton. Donc une série et un roman à la fois. Même si c’est un genre assez particulier de roman, en effet. On peut lire les épisodes indépendamment, ou les uns à la suite des autres et suivre ainsi l’évolution des personnages principaux et secondaires (qui sont appelé à évoluer pas mal, alors autant acheter tous les épisodes, hinhin). L’idée, comme dans une série télévisée, d’avoir des épisodes que l’on peut visionner sans trop connaître l’univers, mais également un metaplot qui traverse toute la saison, voire la série en son ensemble. C’est un procédé que j’avais utilisé de façon plus « distendue », et j’oserai dire plus… ambitieuse, dans Le Cortège des fous, roman éclaté composé de nouvelles et d’un roman court se déroulant dans un même univers avec des personnages récurrents. Là, j’ai resserré les boulots et la focalisation se fait quasiment exclusivement sur Jason.
(Jacques me fait un clin d’oeil tout en cherchant à libérer son autre main. Nos chances de survie explosent. Et je commence à pleurer !)
Écrire une série, c’est pareil ou pas pareil qu’un roman ?
C’est différent, évidemment, parce qu’il faut se dire : « bon, ne perdons pas trop le lecteur, il faut qu’à la fin de l’épisode, j’aie fini de dire ce que j’avais à dire, du moins le principal ». Ce qui va sans doute relever de la gageure au fur et à mesure que je vais avancer dans la rédaction de cette série foutraque au possible. Mais j’ai quelques atouts dans ma manche… Enfin, je crois.
Le rythme change par rapport au roman, et l’on peut jouer dans une série avec la notion de cliffhanger, vu que c’est l’un des piliers même de la structure narrative des feuilletons. Mais je ne suis pas un bon exemple de romancier, puisque je finis le premier tome de Retour à Salem (qui en comporte 2) sur un gros cliffhanger, également ! Héhé ! Tu dois aussi ménager quelques petits passages explicatifs ou de rappel dans tes épisodes pour que le lecteur qui n’a pas lu les nouvelles précédentes ne soit pas largué. Mais tiens, je suis curieux de savoir comment toi, Lilian Peschet, tu as procédé, vu que tu as été confronté à la même problématique avec Mon Dragon, Mon Donjon et La Brigade des Loups ?
(Il a les deux mains libres. Il va falloir maintenant attirer Stéph pour lui arrache la glotte et se barrer)
Parlons chiffre : combien d’épisodes ? Quelle taille l’épisode ? Ta pointure si l’on veut t’offrir des Adidas ?
La première saison comporte 4 épisodes. Les scénarii de la deuxième série, là aussi 4 épisodes, sont déjà écrits et j’ai quelques idées et pistes pour la saison 3. Les épisodes taillent plutôt grands. Plus grands qu’une micronouvelle en tout cas ! Pour l’instant, ils font entre 50000 signes avec espaces pour le plus court (Malheur au vaincu !) et 86000 pour le plus long (Touch me!). On sera dans le même ordre de grandeur, a priori, pour les épisodes de la saison 2.
(À cet instant, il pige ma feinte : il se penche pour vérifier, pris par l’itw, Stéph ne remarque pas les mains libres de Jacques, et Jacques en profite pour desserrer les liens qui lui entravent les jambes)
Je taille grand, aussi (54) parce que j’ai de grosses chevilles. Appelez-moi Bozo !
Parlons des personnages principaux, deux frangins journalistes, au caractère différent, qui durant ces deux premiers épisodes voyagent à travers les dimensions pour ramener des articles passionnants…
Alors, pour Jason, ok, mais Robur, d’où vient ce prénom ?
Dans un cas comme dans l’autre, je voulais des prénoms inhabituels, mais qui restent « humains », pas de Zorglub et Dsgsqdsghsedffff !!*%¤, donc et je désirais que ces prénoms reprennent la première syllabe de mon nom et de celui de mon illustrateur de frère, Roland. Donc Jason pour Jacques et Robur pour Roland. Je me retrouvais donc avec un clin d’œil vernien, sans me l’être vraiment proposé. J’ai joué ensuite de cela dans les épisodes suivants, notamment en présentant des modèles de machines de voyages entre les mondes de type Wells-Verne.
(Jacques parle moins fort, Stéph se rapproche)
Leur directeur ressemblerait pas à un John Jameson pantouflard ? D’ailleurs, entre Spider Man et J&R, une lien de parenté ? Hey ! JR ! Tu étais fan de Dallas ?
Le premier épisode finit sur la présentation de leur rédac’chef en mode pantouflard, en effet. N’imaginant pas du tout écrire une suite lorsque j’ai rédigé Malheur au vaincu ! cela tenait plus d’une private joke qu’autre chose – faire du rédacteur en chef du fanzine dans lequel je publie la nouvelle un personnage du texte en question en jouant sur le décalage, vu qu’il est là à la tête d’un empire médiatique. Puis au moment d’écrire la suite, j’ai développé un peu ce personnage secondaire qui… mais je ne vais pas tout vous raconter, hein !
Le lien entre Spider Man et J&R ? Euh… Oui, si on veut… Sur une des nombreuses Terres existant dans l’immensité de l’univers, Robur et tante May sont une seule et même personne. Plus sérieusement, on retrouve le côté gentiment foutraque des univers de super-héros, où peuvent coexister mutants, génies du mal, clampins avec des armures de combat et Indiens zarbis à moitié à poil, le tout dans un multivers vaguement défini et appelé à changer à coups de reboots, restarts et déviation de la lignée temporelle principale, what if et autres 2099…
Dallas ? Jamais vu un épisode. Toujours pensé que c’était de la merde en barre s’étalant sur des centaines d’épisodes. Tu me détrompes ?
(Il chuchote presque, Stéph est maintenant à porté de main)
Il existe un journal concurrent, mais qui pour le moment joue un rôle lointain. Est-il prévu une guerre sanglante telle que celle qui oppose le Figaro ou Gorifa ? Va-t-on voir des hordes d’avocats s’entredéchirer les entrailles pour savoir qui a écrit le premier sur tel ou tel sujet ? Jameson entrouvrira-t-il son peignoir ? … Je m’égare.
Dès l’épisode 3, la concurrence entre Mondes parallèles et Univers perpendiculaires prend un tour plus perceptible et présente un enjeu plus important dans le feuilleton, avec l’apparition d’un nouveau personnage, un transfuge. Les méthodes d’affrontement entre les deux journaux ont tendance à être plus sales qu’un simple croisement de fer à fleurets mouchetés par avocats interposés. Mais cela aussi est envisageable, tiens. Ça va friter plus sérieusement entre les deux journaux à partir de la saison 2, je pense, et dans la 3 sans doute, également. Je pense aller très loin dans l’escalade de la violence et du nawak.
« Jameson entrouvrira-t-il son peignoir ? » Ahahah. Tu fais bien de poser la question. La vie sexuelle de Martin/Jameson ne fait pas la une des prochains épisodes de la série, mais tu auras ta dose de sesque quotidien avec le protagoniste qui révélera certains… penchants et la transfuge en question.
(Stéph est maintenant à dix centimètres de Jacques. Jacques chuchote tellement faiblement – double combo du « ment » dans ta face – que je ne l’entends plus, qu’importe, je poursuis, jusqu’à ce que Stéph tombe dans son piège mortel)
La particularité c’est le regard des personnages principaux : à la fois acteurs, mais pas vraiment. C’est surtout palpable dans le premier épisode : ils jouent leur propre rôle, mais se tiennent à distance des événements. Au final ce sont des rapporteurs d’événements. À l’école, tu étais un cafteur ?
Nope. Mais comme je le disais plus haut, au départ, l’idée c’était de plaquer un reportage sur une trame fantasy qui aurait paru sans doute trop plate et déjà vu, sans l’introduction de ce décalage, avec des reporters d’un autre monde, à la technologie avancée. Il faut garder à l’esprit qu’il y a plus de 15 ans d’intervalle entre la rédaction de l’épisode 1 et du 2. Cela doit d’ailleurs un peu se ressentir au niveau du style, je me lâche plus dans les nouvelles suivantes.
Dans le second, ils sont par contre acteur et moteur de l’intrigue. Et dans le troisième ? N’hésite pas à me dire si je me goure hein : je lis aussi mal que j’écris 😀
Cette tendance d’appropriation de l’action va effectivement en s’accentuant, mais ne concerne en vérité que Jason. Même si Robur prend des décisions et des initiatives, il garde le statut d’un personnage « observé » par le protagoniste, Jason. Et une erreur de parcours dans le deuxième épisode entraîne tout un tas de conséquences qui coupent un peu les ailes de Robur, finit de plomber son entrain déjà assez entamé dans le premier texte et l’amène à faire une dépression introspective. L’épisode 4 est pleinement axé sur les deux personnages, leur relation, ce qu’ils sont l’un pour l’autre. Voire ce qu’ils sont, tout court. Mais le rôle de la transfuge, Tania, n’est pas à négliger : ambiguë, elle détermine pas mal d’actions de l’un et l’autre des frères. J’avoue bien me marrer avec les turpitudes et remous que cette fouteuse de merde arriviste provoque autour d’elle ! (gros rire gras)
Jacques balance son poing dans la figure à Stéph. Stéph s’écroule, et tandis que l’espoir renait en moi, je poursuis l’interview, alors qu’il lui ravage la trogne.
Passons rapidement sur ton style : fluide, au passé, maîtrisé, mais à la première personne…
C’est celui que tu préfères ?
C’est en effet le type de narration que j’utilise le plus ces temps-ci, avec la première personne au présent. Je ne sais pas si on peut parler de… préféré, c’est surtout ce qui me semble convenir aux circonstances. Le fait que ça soit à la première personne aura une importance toute particulière à la fin de la saison 1 (le fameux cliffhanger) et au cours de la saison 2. Mais c’est décidément trop con, je peux pas en dire plus sans spoiler ! Donc… Next question?
Coup de pied. Coup de tête, il l’assaille, l’accule, oui l’accule, gros dégueulasse, pour l’empêcher de braquer son arme.
Pourquoi as-tu choisi un frangin plus que l’autre ? Tu t’autorises le changement de point de vue ou pas du tout ?
La focalisation se fait sur Jason, parce que c’est mon « avatar » distordu et barré dans cet univers de fiction. Je parle donc de Robur, mon/son frère à la troisième personne, et je crois que c’est mieux comme ça. Cela serait vraiment trop bizarre, même pour moi, autrement. Mais qui sait, peut-être qu’un jour j’opérerais un changement de point de vue.
À la vérité, je me tripote en imaginant peut-être mettre un jour en place des mini-séries axées sur certains des personnages secondaires : Oscar, Tania, Sébastien Martin, St-Pier, etc.
Stéph roule sur lui-même, gémit. Nous avons presque gagné.
Cette série sort chez Walrus… Pourquoi cet éditeur ? Et pourquoi le numérique ? (tu es un pro numérique ou un opportuniste ?)
La série a ceci de particulier que c’est une commande de Julien. Du coup, ça ne pouvait sortir que chez Walrus ! Avoir un éditeur aussi enthousiaste, c’est que du bonheur, tu as sans doute dû l’expérimenter, toi aussi ! Comme dit plus haut, il est fort possible que la série sorte aussi en papier chez un autre éditeur. Donc, non, je ne suis pas à proprement parler pro numérique à fond les manettes. J’aime beaucoup le numérique, j’aime beaucoup le papier, tout comme Julien, d’ailleurs, parce que l’un et l’autre ont leurs avantages et j’avoue ne pas comprendre pourquoi en France on oppose le numérique et le papier avec dans les médias non spécialisés des titres à la con comme « Le numérique va-t-il tuer le livre ? » comme si le livre numérique n’était pas un livre. De même que je ne comprends pas pourquoi (en fait si, je comprends les raisons politiciennes et elles me font gerber) on oppose bons Français et Roms, travailleurs et chômeurs « assistés », dessert ou fromage…
Et sinon, oui, je suis un putain d’opportuniste, mais j’ai gardé pas mal de principes sur lesquels je ne transige pas. Donc, ça marche moyen, en fait.
Dernier coup de latte. Stéph est inconscient. Tel un journaliste consciencieux de Mediapart, je termine cette interview, pris à mon propre jeu, Jacques me libérant, puis reprenant sa place face à moi.
Est-ce que cette série marche ? Et est-ce important pour toi qu’elle marche ?
Le démarrage est plutôt honnête… On en est à 300 téléchargements de l’épisode gratuit. Pas encore beaucoup de retours en termes de chroniques, malheureusement. Il faut laisser à la série et l’épisode 2 le temps de trouver son public. Et… Il faut vraiment que les gens (oui, vous, là, planqués derrière votre écran), le téléchargent, ce #1 gratuit. C’est d’la bonne, promis juré, pas coupée avec des cochonneries genre Werber, Paolini ou « appelez-moi-Meyer ». Une fois ce premier épisode lu, vous sentirez un violent effet de manque que votre dealer d’ebooks préféré se fera un plaisir de combler, avec des fix payants, hein, parce que faut pas déconner non plus.
Évidemment, c’est important pour moi qu’elle marche parce que, mine de rien, j’y ai mis beaucoup de moi, pas uniquement en termes de temps, mais aussi d’investissement personnel – tu sais, quand tu as cette impression de creuser dans ton for intérieur à coups de foreuse et de louches pour développer les grands traits d’un personnage/d’une histoire et à coups de toutes petites cuillers pour les détails. Et en même temps, j’ai envie de dire que rien que le fait qu’elle soit simplement publiée est déjà un grand bonheur en soi, car j’étais très impatient de la voir paraître !
(Il sourit maintenant, pas peu fier qu’on s’intéresse à son boulot)
Et au fond, pourquoi écris-tu ?
Pour plein de raisons. Dans le désordre : parce que finir un texte me procure un sentiment de plénitude et de satisfaction – l’impression que je fais ce pour quoi je suis fait – à la limite de l’extase (oui, oui, sans déconner). Parce je compte bien, un jour ou l’autre, parvenir à vivre de ma plume (même si cela doit passer par l’écriture de scénar de BD, de jeux vidéos, de recettes de cuisine et de traductions de bouquins à gauche à droite, mais on en est pas encore là…) et qu’il faut donc que j’écrive un maximum afin de progresser, encore et encore. Parce que j’ai envie de transmettre à travers l’écriture : transmettre des émotions, faire sourire peur pleurer rire, etc., éventuellement transmettre des idées ou amener le lecteur à une réflexion, ouvrir des portes… Parce que j’aime aussi l’échange, qui est à la base de la relation auteur/lecteur, et que les réseaux sociaux ont amplifié de façon exponentielle… J’adore par exemple avoir des amis, comme Patrick Marcel ou Nathalie Dau, qui rebondissent sur les micronouvelles que je publie sur Facebook alors qu’elles sont encore toutes fraîches ! C’est assez jouissif (ce que ma femme appelle plus prosaïquement « ricaner sur Internet »).
(Ce mec est cool, malgré tout ce sang sur lui. après, nous irons prendre une bière)
Côté projet maintenant, t’as des trucs planqués sous les aisselles ?
Ta question, touffue, tombe au poil ! J’ai pas mal de projets bouclés (pour filer la métaphore des poils) qui devraient voir le jour, un certain nombre qui cherche un éditeur et… quelques-uns entre les deux (gasp !), à savoir qu’ils devaient être publiés chez un tel ou un tel et que maintenant c’est plutôt oui-mais-non,-mais-oui-mais-plus-tard-mais-c’est-la-crise-alors-oui-mais-bon.
En vrac : Le Micronomicon (recueil de 666 micronouvelles humorrifiques), Je en réseaux (recueil de 365 micronouvelles sur les réseaux sociaux), la réédition d’Invocations et autres élucubrations (encore un recueil de micronouvelles, illustrées par Thomas Balard), la sortie toute prochaine de Bestiario (un recueil de micronouvelles en espagnol chez Amargord, qui reprend un certain nombre de short short stories du Micronomicon, de Scribuscules et de Tout feu, tout flamme), le roman court L’Antre du diable (la suite du Cortège des fous toujours chez Malpertuis, lequel Cortège devrait paraître bientôt en numérique chez Walrus), la suite et fin de Retour à Salem chez Midgard avec le tome 2 Orphelins, Wintermute Forwarding: horror, horror, horror, un recueil de micronouvelles écrits en collaboration avec Santiago Eximeno et Alfredo Álamo, illustré par Ferrán Clavero, quelques nouvelles à gauche à droite en anthologies, notamment un texte complètement barré dans Walrus Institute, si ça te parle…
Au niveau des trucs-pas-finis-mais-que-ça-serait-bien-quand-même-d’avancer-dessus-hein, il y a un recueil de nouvelles et micronouvelles de fantasy se déroulant dans un même univers, avec une tripotée d’ordres magiques se foutant joyeusement sur la tronche. Ça s’appelle Les Contes arc-en-ciel et j’ai dû en écrire environ 1/4, soit 10000 signes. Je dis souvent que je déteste la fantasy, mais je ne suis pas à une contradiction près ! On peut en lire un des textes ici :
http://antrelire.over-blog.com/article-25157180.html
J’ai quelques idées de recueils (un de SF, sur le thème de l’invasion extraterrestre) et de romans à mûrir. Notamment la suite et fin du Cortège des fous et de L’Antre du diable, qui s’appellera Sinistres et présentera une jolie Apocalypse pleine d’effets pyrotechniques…
Au chapitre collaboration en cours, on ne devrait pas tarder à sortir avec Vincent Corlaix La Microphéméride 2012, qui regroupe une belle brochette d’auteurs de la SFFF et reprend les textes publiés sur le blog dédié à cet étrange exercice microlittéraire :
http://microphemeride.nootilus.com/
On est également censé bosser sur l’An 1 de la Fabrique de Littérature Microscopique (une seule adresse : http://fablimi.wordpress.com), avec Benoît Giuseppin et Karim Berrouka, mais cette étrange langueur moite qui nous étreint et nous lie nous empêche d’avancer sur ce projet de façon efficace.
Puis il y a cet autre projet de nouvelles, poèmes et micronouvelles, avec Anthony Boulanger et trois autres auteurs qui, lui, avance bien. Je crois qu’on a à peu près tous rendus notre copie.
Enfin, il y a un autre projet avec Anaël Verdier, Lionel Bénard et Maxime Le Dain qui traaaaaîîîîne depuis des années déjà, autour du thème des Deniers de Judas et que j’aimerais bien finaliser parce que ça me tient vraiment à cœur. C’est de la nouvelle courte, c’est gore, trash, dérangeant, expérimental, halluciné, hallucinant… Et ça pourrait être vraiment très bon, je pense, une fois terminé.
Un dernier mot pour la fin ?
Miam ?
(Pour éviter les classiques remerciements embarrassants pour tout le monde… Mais en fait, si, quand même, merci d’avoir pensé à moi pour boucher un trou sur ton blog en me proposant cette interview qui m’a forcé à faire une vertigineuse et douloureuse introspection, en mode Ouroboros jusqu’au trognon).
— Fin de l’interview —
Voilà, nous nous en sommes sortis. Je n’ai jamais remis les pieds au 3e oeil. J’ai vu aux infos que Stéph, fou de Dexter, s’était mis à tuer des seriaux killers, et qu’il en était venu à suspecter des innocents. Tout comme son héros fictionnel, il avait franchi la ligne.
De mon côté, fumant une clope, dans les draps d’un love hôtel de Châtelet, je repense à cette histoire. Je devrai en faire un roman. Ou un article. Enfin un truc qui montrerait combien ma vie est formidable.
Ah si, pour finir, et avant de mourir, lisez Jason et Robur. De la bonne came de chez Walrus.